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vivement que tant d’autres ces premiers éblouissemens de la gloire, il est certain que ses préoccupations politiques n’étaient point aggravées par les menaces du péril extérieur. On n’avait pas à redouter le démembrement de la patrie ; la France était en mesure de tenir tête à ses ennemis les plus acharnés. La Prusse en 1795 avait demandé et obtenu la paix, l’Angleterre voyait l’opinion se déclarer de plus en plus pour la cessation des hostilités, l’Autriche allait se soumettre aux conditions du vainqueur d’Arcole et de Rivoli. Comparez notre situation actuelle à celle qui causait les alarmes de Malouet ! Ses conseils étaient pressans, ses avertissemens impérieux ; n’ont-ils pas bien autrement de force à l’heure décisive où nous sommes ? Si nous persistons à rester désunis, ce n’est pas seulement l’état qui subira une crise comme il en a traversé plus d’une. Nos ennemis sont là, vigilans et prêts à tout. Dans cette tourmente suprême, la France peut disparaître.

Non, il y a encore trop de sève, trop de ressources, trop de patriotisme dans cette généreuse nation pour qu’elle soit effacée du livre de la vie ; la Providence ne permettra pas qu’elle périsse. Aidons-nous, le ciel nous aidera. Que faut-il donc pour prévenir la crise meurtrière ? Renoncer à nos intérêts de partis, à nos rivalités de coteries, et ne nous occuper que de la France. Et qu’est-ce que s’occuper de la France au milieu de tant de périls ? Avant tout, c’est consolider l’ordre, garantir la sécurité publique, favoriser le travail, assurer au pays le temps de se refaire. Les événemens ont confié cette tâche à un vaillant et loyal soldat ; ne lui marchandons pas les appuis dont il a besoin. Son gouvernement, aussi bien que le pays, réclame des institutions nécessaires. Il est temps de sortir du système qui met tout le pouvoir législatif dans une seule assemblée. La souveraineté d’une assemblée unique n’est qu’un régime d’exception ; justifié par des circonstances extraordinaires, ce régime, s’il se prolonge outre mesure, peut devenir un exemple funeste. Ce n’est pas assez pour l’assemblée de 1871 de s’être dessaisie d’une grande part de la souveraineté en donnant au maréchal président sept années d’un pouvoir placé au-dessus de tous les votes ; les mêmes raisons de conservation sociale exigent que la puissance législative ne soit pas tout entière dans une seule chambre. Deux chambres, et avec cela une loi électorale vraiment juste, vraiment sincère, qui assure une plus grande place aux intérêts et restreigne celle des passions, voilà l’affaire urgente entre toutes. C’est le seul moyen de prévenir les conflits entre le président et l’assemblée surtout ; c’est le seul moyen d’empêcher le retour d’une convention. Ainsi mise à l’abri des surprises violentes, la noble blessée, pendant les six années que lui garantit la loi, aura le temps de guérir ses plaies et de relever sa fortune.