Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Témoin de ces fautes de conduite, Malouet en tire une leçon que ses Mémoires reproduisent en ces termes : « Dans une querelle de société, il est encore utile et juste de compenser les mauvais procédés par les bons, et de faire céder les ressentimens les mieux fondés à des intérêts majeurs ; mais en politique, quand il s’agit du salut de l’état, du monarque et de sa famille, il n’y a pas d’injures et de griefs qui ne doivent s’effacer par des services importans, par des considérations graves. Peut-il être question du passé, quand on a à supporter le poids du présent et l’inquiétude de l’avenir ? » Réflexions bien simples, vérités aussi vieilles que le genre humain, mais qu’il faut rappeler à chaque génération et qui s’appliquent surtout à bien des mesquineries de la vie parlementaire.

Ce ne sont là que des conseils généraux de politique et de morale. Condamnation absolue de l’ancien régime et de ses iniquités, horreur du jacobinisme et de ses forfaits, fermeté inflexible dans la défense des grands principes sociaux, ménagemens à l’égard des hommes, sacrifice de ses passions, de ses ressentimens, de ses répugnances même, sacrifice de tout ce qui est personnel, soit aux individus, soit aux partis, et poursuite constante de ce qui peut sauver la cause commune, voilà ce que nous enseignent ou du moins ce que nous rappellent les Mémoires de Malouet. Les circonstances présentes réclament des indications plus précises. Assurément, soit que Malouet joue un rôle actif dans le drame de la révolution, soit qu’après la constituante il se trouve réduit à n’être plus qu’un spectateur, il souffre aussi cruellement que personne des calamités de son pays. Au mois de mars 1797, le fils de Mallet Du Pan, qui le voyait beaucoup dans son exil, écrivait de Londres à son père : « M. Malouet est profondément affecté et conserve peu d’espérance ; je ne connais aucun homme qui sente aussi vivement les maux de la France ; il en est accablé. » Remarquez pourtant qu’à cette date Malouet éprouve du moins la consolation de ne trembler que pour l’état et non pour l’existence même de la France. Les autres gouvernemens sont faibles et incertains ; les coalitions ennemies sont vaincues ; au milieu de nos convulsions intérieures, Malouet est trop perspicace et trop sincère pour ne pas voir fermenter une sève généreuse. Ce n’est pas là un pays qu’on puisse rayer de la carte. Il l’appelle quelque part une nation, criminelle sans doute, mais triomphante et qui dicte des lois à l’Europe[1]. C’était en 1797, au moment où l’armée d’Italie et son jeune général, dans une campagne héroïque, préparaient déjà le traité de Campo-Formio. Si la correspondance de Malouet n’indique pas qu’il ait ressenti aussi

  1. Dans une lettre du 4 mai 1797 adressée de Londres à Mallet Du Pan. Cette lettre fait partie de la correspondance qui enrichit la seconde édition des Mémoires de Malouet.