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et des prétentions caduques. À une nation affamée de justice, la justice seule peut parler un langage efficace. N’insultez donc pas aux événemens que vous n’avez pas su prévenir et que vous n’avez pas voulu diriger : « les violences dont vous êtes victimes ne sont pas la révolution ; elle est indépendante des excès qui la signalent.»

Huit ans plus tard, au mois de juin 1799, après de bien autres violences, Malouet revient sur les mêmes idées dans sa Lettre à l’auteur du Mercure britannique. La toute-puissance de la terreur et « ses prodiges épouvantables » ne lui font pas croire que la nation soit assez écrasée pour admettre par lassitude le gouvernement de l’ancien régime. Vainement les incorrigibles, enfermés dans leurs prétentions altières, comptent de loin les chances de succès que doit leur fournir l’accroissement de la ruine publique, Malouet voit s’élargir de jour en jour l’abîme qui les sépare de la nation. Il la peint, cette nation, telle que l’ont faite ces huit années de despotisme révolutionnaire, il la peint avec ses vertus et ses vices, ses grandeurs et ses infamies : ici une valeur soutenue à côté de la plus ignoble servitude, là, auprès d’une génération vieillie dans la corruption, une jeunesse audacieuse et guerrière, un désordre universel dans les intérêts et les passions, un peuple étonné de tout ce qu’il a fait, de tout ce qu’il a souffert, l’amour du repos, l’esprit de faction, la bonté, la scélératesse, un spectacle étonnant, une énigme inexplicable, « et cette France-là, s’écrie-t-il, on croirait pouvoir la gouverner par les maximes, par les moyens et suivant les usages de l’ancienne cour ! Il me semble que le gouvernement de la Chine lui serait plus facilement adapté… »

Ces avertissemens, nous le savons trop, ne seront pas entendus des hommes auxquels ils s’adressent aujourd’hui ; on n’en tenait compte ni en 1791 ni en 1799, les écoutera-t-on en 1874 ? Heureusement les Mémoires de Malouet nous donnent d’autres conseils qui s’adressent à des esprits moins obstinément fermés aux leçons de l’expérience. Malouet, le plus modéré des hommes, est à coup sûr un excellent maître de modération. En le voyant agir, comme en recueillant ses aveux, on apprend que la modération, loin d’exclure la fermeté, a besoin de s’appuyer toujours sur la vigueur du caractère. On apprend aussi que cette vigueur ne doit jamais altérer ni la sérénité de l’esprit ni l’urbanité du langage. Ce sage, si libéral, si respectueux des convictions d’autrui et qui ne demandait qu’à les discuter, il s’accuse d’avoir été parfois trop exclusif, d’avoir trop souvent dit non à ses adversaires politiques, surtout de l’avoir dit trop sèchement. La défaveur de l’assemblée s’attachait d’avance à presque toutes ses motions ; il s’accuse d’y avoir aidé par sa maladresse. Écoutez-le faire sa confession. « Je n’ai point de raideur de caractère, mais mon premier mouvement est toujours aperçu, et,