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demande que le président soit rappelé à l’ordre par l’assemblée. La confusion est au comble.

Il faut bien reconnaître ici que Malouet s’était fait une étrange illusion en comptant sur l’autorité philosophique de Raynal. Vainement affirme-t-il que cette adresse eut un éclat prodigieux dans tout le royaume, il est obligé d’avouer qu’elle resta sans effet. L’abbé Raynal et Malouet ne firent que procurer un succès à Robespierre. « C’est la première fois, dit-il, que je le vis adroit et même éloquent. » Avec une modération perfide, Robespierre reconduisit pour ainsi dire hors de l’assemblée « le vieillard respectable que des malheureux, abusant de sa faiblesse, étaient allés chercher au bord de la tombe pour lui faire abjurer ses doctrines. » Il eut beau délayer ses paroles dans son galimatias accoutumé (je cite encore Malouet), l’impression était produite, et l’assemblée s’empressa de passer à l’ordre du jour. Malouet signale à ce propos ce qu’il y a de machinal dans les mouvemens d’une assemblée tumultueuse. Des impressions subites, frivoles, désordonnées, comme la vanité d’une femme ou la colère d’un étourdi, s’emparent tout à coup de ces grands corps et n’y laissent plus aucune place pour la raison. Malouet ajoute cette remarque bien digne d’être notée : « il n’y avait pas trente députés parmi nous qui pensassent autrement que l’abbé Raynal, chacun d’eux, tête à tête avec lui, aurait trouvé ses censures et ses conseils raisonnables ; mais, en présence les uns des autres, l’honneur de la révolution, la perspective de ses avantages, étaient un point de dogme auquel il fallait croire. » Réflexions très sages à coup sûr, il fallait seulement s’en aviser plus tôt et ne pas tenter une aventure qui devait profiter à l’ennemi. L’extrême droite elle-même ne vit là qu’une occasion de s’amuser aux dépens de Malouet et de son patriarche. Malouet n’a que ce qu’il mérite, disaient les intraitables ; mettre en avant l’abbé Raynal, c’était vouloir donner un coup d’épée dans l’eau ; que peut-il sortir de bon d’une tête philosophique ?

Malgré toutes les objections, y compris les nôtres, Malouet avait eu du moins le mérite de faire soupçonner à plus d’un esprit sérieux que le mouvement démocratique de la révolution était condamné par la philosophie du XVIIIe siècle. Quoi qu’il en soit, n’est-ce pas une chose touchante de voir ce sage poursuivre obstinément sa tâche sans jamais se décourager ? Tout espoir est perdu, il agit comme s’il espérait encore. Il y a un dernier mot à dire, soyez sûr qu’il le dira. Voici l’heure où le roi doit accepter la constitution ; plutôt que de prêter ce serment, il cherche à fuir, il est pris à Varennes, ramené à Paris, enfermé dans son palais. Enfermé ? Oui, l’assemblée est saisie d’un projet de décret qui mettra le roi et la famille royale