Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/492

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

portugaise de 1758, il la voit telle qu’elle est, ignorante, barbare, cupide, aussi dure pour le peuple que servile devant le roi. Un jour, assistant à un combat de taureaux dans une loge voisine de celle du souverain, il le vit se pencher en dehors, puis se retirer aussitôt en riant à gorge déployée. Cette manœuvre se renouvela plusieurs fois. Soupçonnez-vous la cause de cette gaîté bruyante ? On ne le devinerait pas en cent. La loge au-dessous était celle des chambellans de la cour. « Nous vîmes très distinctement, dit Malouet, le roi cracher sur un de ces messieurs, qui s’essuyait en riant et en regardant son maître d’un air qui semblait dire : Tant qu’il vous plaira, sire ; je suis trop heureux de vous amuser. » Naturellement c’étaient les subordonnés qui payaient les frais de cette honte ; on redoublait de hauteur pour tâcher d’effacer tant de bassesse. Malouet n’est donc pas dupe, comme beaucoup d’autres, de sympathies imméritées pour cette noblesse avilie lorsqu’il accuse le despotisme du marquis de Pombal. Ce terrible homme lui paraît supérieur à tout ce qui l’entoure par la finesse de l’intelligence et la ténacité du caractère. Faut-il dire pour cela que c’était un grand ministre, comme on l’a si souvent imprimé ? Non certes. Pombal avait dominé le roi, écrasé la noblesse, réduit la nation à une servile obéissance ; mais qu’avait-il fait de ce pouvoir ? « Tous les départemens, dit Malouet, marine, guerre, police, commerce, la culture, les manufactures, les sciences et les arts, enfin tout ce qui compose un gouvernement était dans une condition déplorable. » Le jeune diplomate a gardé une telle impression de cette figure sinistre que son récit, ordinairement si pâle, s’anime par instans et se colore. Bien que le portrait soit seulement indiqué, les touches vigoureuses n’y manquent pas. Il lui suffit de quelques traits pour peindre la terreur de tous et l’hypocrisie du despote : «il baisait, dit-il, la main de son confesseur, qui ne l’approchait qu’en tremblant. » Malouet n’eût pas approuvé les historiens qui font du marquis de Pombal un Richelieu barbare. Richelieu avait constamment en vue la grandeur de la France ; il n’est pas sûr que le marquis de Pombal ait jamais songé à autre chose qu’à la puissance du marquis de Pombal. Quand la guerre éclata en 1762, le Portugal n’avait pas 10,000 hommes de troupes, aucun régiment n’était complet, les soldats, mal vêtus, mal payés, étaient pris dans la lie de la nation ; on les voyait demander l’aumône.

Peu de temps après son séjour à Lisbonne, Malouet quitte la diplomatie pour l’administration. Il entre aux bureaux de la marine. Ayant mis la main sur la correspondance de Colbert, il s’y plonge, il en fait des extraits, il ne se lasse pas d’admirer cette sûreté de coup d’œil et cette sagesse magistrale ; c’est Colbert qui lui apprend son métier. Le voilà bientôt commissaire de la marine, ordonnateur