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Malouet finit cependant par soupçonner que l’on ne croyait guère à la conspiration du duc d’Alveiro, et qu’on y voyait généralement une sinistre comédie arrangée par le marquis de Pombal. L’attaque à main armée dirigée contre le roi Joseph Ier dans la nuit du 3 septembre 1758, le coup de fusil tiré sur la voiture royale, tout cela, selon l’opinion courante, devinée plutôt que recueillie par l’observateur, n’était qu’une mise en scène au moyen de laquelle le terrible ministre avait voulu écraser ses ennemis. Le duc d’Alveiro, accusé de régicide, et cinq autres gentilshommes appartenant, comme lui, à l’illustre famille des Tavora, périrent sur l’échafaud. C’étaient les plus grands seigneurs du Portugal, par conséquent les plus grands adversaires de Pombal et de sa politique niveleuse.

On ne conteste plus aujourd’hui l’attaque nocturne du 3 septembre 1758, on ne nie plus les coups de fusil tirés sur une voiture où se trouvait par hasard le roi Joseph ; s’il y a encore bien des obscurités dans cette histoire, ce n’est pas notre affaire de les dissiper. Le témoignage de Malouet n’en a pas moins sa valeur. Les soupçons qu’il avait compris à demi-mot étaient entretenus dans la société portugaise non-seulement par l’idée qu’on se faisait du marquis de Pombal, mais par la manière étrange dont la procédure avait été conduite. C’est ce que Malouet, pour sa part, constate avec autant de loyauté que de précision quand il expose ainsi ses conjectures : « J’ai lu depuis tout ce que les mémoires du temps ont publié, il n’en est point, à ma connaissance, qui accuse le marquis de Pombal, qui mette en doute la conjuration ; mais ce que j’ai vu de la faiblesse et de la nullité du roi, de la tyrannie du ministre, de l’audace et de la violence de son caractère, me disposait à croire qu’il n’était point de noirceur dont il ne fût capable. » D’ailleurs, si le marquis de Pombal n’a pas inventé la conjuration du duc d’Alveiro pour décapiter l’aristocratie portugaise, on sait avec quel mélange de fureur et d’hypocrisie il exploita cette aventure pour décréter la proscription des jésuites. Est-il besoin de rappeler la mort du père Malagrida ? Accusé d’être le principal instigateur du complot, il fut brûlé trois ans plus tard dans un auto-da-fé. L’inquisition portugaise, instrument servile du marquis de Pombal, avait condamné le malheureux jésuite non pas comme régicide, mais comme hérétique. « L’excès du ridicule et de l’absurdité, dit très bien Voltaire, fut joint à l’excès d’horreur. »

Dans ces premières observations que lui fournit le livre du monde, on peut apprécier déjà la justesse naturelle et l’impartialité de Malouet. Ordinairement les apologistes du marquis de Pombal se passionnent pour lui en haine de l’ancien régime ; on lui pardonne sa tyrannie parce qu’il a proscrit les jésuites et frappé au cœur la vieille noblesse. Malouet n’a aucune sympathie pour l’aristocratie