Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/485

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier ordre, c’est aussi un grand musicien, il a écrit les Rameaux, et comme compositeur il vaudra toujours bien M. Gevaërt, tandis que votre Gevaërt ne le vaudra jamais comme baryton. Quant à la question d’art, cessons cette plaisanterie ! Jouer des opéras nouveaux, mettre en scène des ballets inédits, allons donc ! qui diantre voudrait encourir de pareils frais, alors qu’on n’a pour s’enrichir qu’à montrer pendant un an la nouvelle salle au monde entier ? »

Il semble en effet que la vogue ait déjà commencé, tout ce qui se rattache à cette nouvelle salle attire le public, émeut la discussion. Si vous passez devant le Palais des Beaux-Arts où sont exposées les peintures décoratives de M. Paul Baudry, le seul courant vous forcera d’entrer, et comme chacun sait qu’il n’y a personne à Paris en ce moment, vous rencontrerez là tout le monde. Les critiques viendront toujours assez tôt, nous n’en sommes encore qu’aux louanges ; vous n’entendez autour de vous que propos flatteurs et joyeux murmures. Le fait est qu’on n’imagine pas spectacle plus charmant : une variété de sujets prestigieuse, éblouissante, la fable et l’histoire, Homère et les livres sacrés ; volontiers vous vous écririez : Quoi ? tout cela pour un seul théâtre ? Partagez au moins avec l’église, et laissez-lui cette sainte Cécile si doucement extasiée en son rêve mystique ! Du talent, de l’invention, je n’en parle pas, il y en a partout à profusion. Sur le chapitre de la couleur, on ne saurait que se montrer fort discret du moins jusqu’à nouvel ordre ; songeons qu’il s’agit ici d’une peinture exécutée dans des conditions spéciales, qui ne rendra bien ce qu’elle veut rendre et ne dira son dernier mot qu’au feu des lustres. Assurément ceux-là qui se font une fête d’admirer au Louvre le plafond d’Apollon goûteront peu cette gamme effacée, d’un gris tendre ; mais il importe de se défier et d’attendre les révélations qui nous sont réservées pour le soir où le gaz flamboiera.

Ces peintures forment les différens cycles d’un poème racontant et célébrant les caractères et les effets de la musique et de la danse. Parcourons ce foyer tel qu’il sera au jour de l’ouverture. Au-dessus des portes sont placés dix médaillons représentant les attributs de la musique chez les peuples antiques et modernes, et le long des murs latéraux se déploient dix grandes compositions que séparent des intervalles dont chacun est occupé par une grande figure détachée ; saluez, ce sont les muses : Euterpe, Uranie, Érato, Clio, Melpomène, Thalie, Terpsichore, Calliope. En les nommant, je m’aperçois qu’elles ne sont que huit, une manque en effet à l’appel, ainsi l’ont voulu les dispositions de la salle, et c’est la muse même de ces lieux : Polymnie, en maîtresse de maison bien apprise, s’est courtoisement effacée. D’ailleurs la musique ne pose-t-elle point là devant nos yeux sous toutes ses formes : charmant Saül avec la harpe de David, entraînant les guerriers à l’assaut, rhythmant le menuet lascif de Salomé ? Vivos voco, mortuos plango,