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grands ouvrages pour la France, et que toute musique écrite pour la France est française, négligeons Auber et la Muette, il est de mode aujourd’hui de passer sa gloire sous silence, de ne plus même prononcer son nom dans les discours officiels récités par le ministre des beaux-arts au Conservatoire ; mais Gluck, ce grand ancêtre, ce classique, proscrirons-nous aussi sa nationalité ? Un parti était à prendre : monter Armide. En pareille occasion, le Théâtre-Français n’eût certes point manqué de se mettre sous l’invocation de Corneille ou de Molière.

Il fallait s’adresser au maître de la tragédie lyrique, faire à son chef-d’œuvre les honneurs magnifiques de cette première soirée. Les convenances, la question d’art, tout l’ordonnait, mais pour réaliser ce beau programme, une troupe ayant de l’ensemble, des traditions, était indispensable. Tout cela réclamait des chefs du chant expérimentés, un corps de ballet, des services largement rétribués et fonctionnant sous une main d’artiste autorisée et ferme, tandis qu’avec des étoiles on n’a plus à s’embarrasser de rien, et les grosses recettes, qui sont en définitive le seul et unique objectif, se font sans qu’on y pense. Vous connaissez le marquis de la Critique de l’Ecole des femmes et son exclamation qui répond à toutes les objections, c’est absolument la même histoire : tarte à la crème ! « De quoi vous plaignez-vous, quand vous allez revoir Ophélie pendant six semaines ? vous malmenez ma prétendue troupe de province, comme si les Falcon et les Cruvelli couraient aujourd’hui les cafés-chantans. En citeriez-vous beaucoup de cantatrices capables de chanter Valentine et dona Anna ? Peut-être bien me parlerez-vous de Teresa Stolz et de la Waldmann, que l’opinion a voulu m’imposer à l’occasion d’une certaine messe de Verdi, mais on ne cède pas ainsi à l’opinion, et d’ailleurs il sera toujours temps de lier partie avec ces virtuoses à prétentions exorbitantes. Si je n’ai pas de grand ténor, j’ai M. Faure, et l’expérience nous apprend que, dans un opéra, pourvu que l’un des rôles soit brillamment tenu, le reste importe peu. Voyez ce qui se passe à Lyon, à Marseille, à Bordeaux : est-ce que, lorsqu’un artiste de haut vol y vient donner des représentations, la troupe ordinaire déménage ? Que fait le public ? Il accourt en masse et donne son argent. Pourquoi n’en serait-il pas de même à Paris ? J’aurai demain la Nilsson, qui vous dit que l’année prochaine je ne m’arrangerai pas de manière à vous offrir la Patti également pour quelques représentations et que je ne monterai point à cet effet la Lucie avec Sylva et Caron ? Vous me parlez d’un général en chef du chant et des études musicales, d’un de ces hommes absolus faisant suite à la dynastie des Hérold, des Halévy, des Gevaërt, je n’en veux pas. Un véritable directeur de l’Opéra se suffit à lui-même, il voit tout, entend tout, est partout, comme le solitaire. D’ailleurs si j’avais besoin d’un conseil, M. Faure ne me le refuserait pas ; M. Faure n’est pas seulement un chanteur de