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Sir Gilbert Elliot, dès son retour en Angleterre, avait été, en récompense de ses services, élevé à la pairie sous le titre de lord Minto, que nous lui donnerons désormais. Après avoir pris part à la discussion des affaires d’Irlande, en se rangeant, comme à son ordinaire, du côté du bon droit et de la liberté de conscience, il dut bientôt s’éloigner encore de son pays, ayant été nommé ministre plénipotentiaire auprès de la cour de Vienne, et il partit en 1799, accompagné de MM. Bartle Frere et Pozzo di Borgo, qui faisaient partie de son ambassade.

Cette mission demandait à la fois beaucoup de fermeté et de finesse. Sir Gilbert allait avoir affaire à une puissance dont il lui fallait pénétrer la politique, et qui, à ce moment même, jouait un double jeu. Ses instructions portaient qu’il demanderait compte au cabinet autrichien de l’inaction des armées impériales. Campées devant Zurich dans de bonnes conditions, sous le commandement d’un illustre chef, l’archiduc Charles, elles n’avaient pas fait le moindre mouvement depuis le 1er  juin jusqu’au milieu d’août. On présumait à Londres qu’elles retardaient l’attaque afin d’attendre les troupes russes, commandées par Souvarof, avec le dessein de leur laisser la responsabilité de la défaite, tandis qu’au fond le gouvernement autrichien se proposait de traiter en secret de la paix avec la république française, moyennant l’agrandissement de ses possessions d’Italie. Peut-être aussi la cour de Vienne ne songeait-elle qu’à ménager son armée afin de la porter sur Mayence, sans avoir concerté ce plan avec ses alliées. Si ces faits lui paraissaient constatés, l’envoyé de l’Angleterre avait ordre d’exiger une explication satisfaisante ou de déclarer tout accord rompu. Il était, dans ce cas, autorisé à suspendre les subsides fournis par le gouvernement anglais pour continuer la guerre. Ces négociations, relatées tout au long dans les dépêches officielles ou secrètes de lord Minto, ont eu pour commentaires suffisans les événemens bien connus qui les suivirent ; cependant les appréciations personnelles d’un correspondant aussi judicieux n’en sont pas moins intéressantes à recueillir.

Au début, lord Minto ne sort de ses conférences avec le baron de Thugut qu’extrêmement irrité de la duplicité du ministre autrichien. C’est seulement après sa disgrâce qu’il montre quelque estime pour « le seul homme d’état que possédât l’Autriche. » Dans les rapports privés cependant il s’était établi entre eux une assez grande intimité. Le langage diplomatique du baron de Thugut, « ses mensonges, » ne laissent pas de causer au plénipotentiaire anglais un mécontentement dont ses lettres portent la trace malgré la modération habituelle d’un homme « qui ne se mettait jamais en colère. » Au cours de ces nombreuses conférences, lord Minto s’aperçut un