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Quand on marche le long de ses bords, l’air y est littéralement imprégné du parfum suave ou pénétrant des plantes aromatiques. Je me propose de passer les mois les plus chauds de l’été sur la montagne couverte de bois de châtaigniers. Je voudrais m’y bâtir un palais d’été tout de jaspe et de porphyre ; mais, craignant que vous ne me trouviez trop extravagant, vu votre ignorance de ce que produisent les carrières du pays, je crois que je serai plus modeste et me contenterai de marbre. »


Pendant les premiers temps de son séjour en Corse, sir Gilbert résida tantôt à Corte, tantôt à Orezza, dans le couvent où étaient aussi logés Paoli et quelques députés, entre autres Pozzo di Borgo. Jusqu’au 1er  novembre suivant, sir Gilbert, encore dépourvu d’instructions officielles, était, en les attendant, forcé d’assister à la lutte d’une foule d’ambitions personnelles et de mille rivalités de clochers qui, en agitant le pays, mettaient le représentant de l’Angleterre dans une position souvent fort embarrassante ; « chaque Corse voudrait être fonctionnaire, » dit-il dans une suite de lettres qui donnent l’idée la plus exacte de l’état de ce petit pays, dans lequel il essaie vainement d’implanter la constitution anglaise. Il est de plus en plus frappé de la nécessité qu’il y a pour les Anglais de s’y maintenir en prévision des événemens qui s’annoncent. Dans son opinion, la Corse est un point indispensable à occuper dans la Méditerranée pour une puissance maritime qui a perdu Minorque et ne possède pas encore Malte. Nelson, qui commandait l’artillerie de la flotte anglaise, et qui avait déjà repris Bastia et Calvi, partageait à cet égard la manière de voir de sir Gilbert. Il est curieux de noter les réflexions pleines de sagacité que la marche rapide des armées républicaines en Italie inspire dès cette époque à l’un des agens les plus actifs de la politique anglaise, et n’est-ce pas une prophétie bien remarquable que cette opinion émise au mois de février 1795 : « si nous ne prenons pas les précautions nécessaires, je ne puis m’empêcher de craindre que nous ne voyions bientôt l’ancien empire romain reconstitué, avec cette seule différence que la métropole en sera sur les rives de la Seine au lieu de celles du Tibre. » Malgré l’esprit de conciliation qui l’animait, sir Gilbert a grand’peine à se défendre contre les menées de Paoli et de ses adhérens, qui, se regardant toujours comme les maîtres de la Corse, ne lui épargnaient aucune tracasserie. Afin d’y mettre un terme, il se crut obligé de demander à son gouvernement de le délivrer d’un rival aussi incommode, en s’y prenant toutefois d’une manière qui ne pût le blesser. En effet, Paoli reçut, au nom de George III, l’invitation la plus gracieuse de vouloir venir résider en Angleterre, où sa pension, qui était déjà de 1,000 livres, devait être portée à 3,000. Débarrassé de Paoli, sir Gilbert poursuivit son œuvre de réorganisation