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trottait bravement à côté de son père. Une fois par semaine, le docteur Vibrac venait de la ville voisine sur son bidet pour déjeuner au château, et, après avoir regardé l’enfant, il avait accoutumé de dire : — Si tous les hommes étaient bâtis comme ce garçon-là, le pharmacien fermerait boutique ou se ferait pâtissier.

Ce Vibrac, franc méridional et joyeux convive, avait une affection sincère pour la famille de Louvignac ; d’ailleurs, bon praticien, au courant des découvertes nouvelles, doué d’un coup d’œil sûr, il se connaissait en hommes, et, tout en badinant, étudiait aussi bien les caractères que les tempéramens. Il pénétrait les intentions de la comtesse, et la secondait dans ses petites ruses de cœur avec une malice pleine de bonhomie.

Un jour, la comtesse le prit à part. — Mon ami, lui dit-elle, j’ai un service à vous demander. Vous voyez de quels soins touchans je suis comblée par mon mari. Aucune peine, aucun sacrifice ne lui coûte pour satisfaire et prévenir mes moindres désirs. Une fois en ma vie, je voudrais répondre à tant d’amour par autre chose que de la tendresse. Je ne suis pas riche comme lui ; mais je possède un joyau de prix qu’il ne connaît pas. C’est un diamant monté en bague, que le cardinal Du Bellay a rapporté de Rome il y a trois cents ans. Ce diamant a une valeur historique. La dernière demoiselle Du Bellay, mon arrière-grand’tante, l’a laissé à ma grand’mère, et c’est ainsi qu’il est venu jusqu’à moi. J’ai remarqué qu’aujourd’hui les hommes portent des cravates longues dont ils croisent les bouts sur la poitrine en les attachant avec une épingle. Prenez ce diamant et rendez-le-moi monté en épingle pour la veille de la Saint-Jean.

La comtesse remit au docteur une petite boîte en vernis-Martin sur laquelle était gravée la devise des Du Bellay : atavis et armis. Vibrac l’ouvrit et regarda le diamant. — Je m’y connais un peu, dit-il ; cette pierre est d’une fort belle eau. J’irai à Marmande, où il y a un joaillier connaisseur et honnête. Votre mari aura là une épingle magnifique.

Au bout de huit jours, Vibrac revint au château. En donnant le bras à la comtesse pour passer dans la salle à manger, il lui remit en cachette un papier. C’était une lettre qu’il avait reçue la veille, du bijoutier de Marmande.

« Monsieur le docteur, lui écrivait le marchand, sûrement la personne à qui appartient le diamant que vous m’avez confié n’en sait pas la valeur. C’est une pierre rare, de huit carats et sans défaut. De peur de me tromper, j’ai consulté un de mes confrères plus expert que moi. Nous l’avons estimé ensemble valoir douze mille francs. Ce qui en fait le prix, ce n’est pas tant la grosseur que la pureté, la belle forme et l’éclat. Il faut savoir que les diamans anciens