Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand même j’aurais été toute ma vie d’une opinion contraire à celle que je professe aujourd’hui,… ce qui arrive en France me guérirait radicalement de cette maladie engendrée par les faux raisonnemens. »


Il y a plaisir à citer ces lignes d’un grand esprit, qui, au risque d’encourir le reproche d’apostasie que ne lui ménageait pas son ancien parti, osait parler contre la tyrannie des peuples. Sir Gilbert, occupé à consoler le lion blessé, commençait alors à se détacher peu à peu de Fox. Il estimait de moins en moins Sheridan, tout en continuant à admirer en lui l’orateur entraînant, toujours si plein de verve, de sarcasme et de passion. Il aurait souhaité que le duc de Portland, personnage respectable par son caractère et sa position, montrât plus de vigueur dans la direction du parti qui venait de le mettre à sa tête, surtout à propos de cette question de la paix ou de la guerre qui agitait alors si fortement les esprits. Il ne cesse de déplorer sa faiblesse. « C’est un homme, écrit-il, qui admet tout ce que vous dites et se contente de gémir et de sangloter. » Après une conférence où il avait forcé le duc à promettre devant témoins qu’il se prononcerait maintenant en faveur de l’alien bill, sir Gilbert n’hésita pas à porter lui-même devant la chambre des communes cette grave détermination du chef des whigs, et le duc de Portland, mis au pied du mur, n’osa pas la démentir. C’était se rapprocher du gouvernement, qui voulait se préparer à la guerre étrangère ; c’était aussi pour sir Gilbert rompre avec un groupe de ses amis et avec Fox, radicalement opposé à cette mesure. Toute cette phase de la vie politique de sir Gilbert est intéressante à suivre dans la correspondance presque quotidienne qui en reproduit les moindres incidens. On y voit comment la gravité des circonstances et l’empire d’une conviction sérieuse ont porté cet homme de bien à soutenir, dans les mesures qu’il jugeait utiles aux intérêts de son pays, un gouvernement qui n’avait pas eu d’abord ses préférences.


« Il n’y a plus à douter, écrivait-il à la fin de l’année 1792, de la chaleureuse approbation et du soulèvement de tout notre pays en faveur de la guerre. Bien que personne n’aime la guerre en elle-même, on en comprend la nécessité, et je suis certain que nous n’avons pas d’autre moyen d’éviter de plus grands maux. »


III.

Au commencement de cette terrible année (1793), nous voyons une foule de noms français se presser sous la plume de sir Gilbert Elliot. Ce sont ceux des émigrés qui se réfugient en Angleterre. Avec quelques-uns, il renouvelle connaissance ; il en rencontre d’autres pour la première fois dans les réunions où ces échappés du