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lettres de sir Gilbert confirment absolument les assertions d’Horace Walpole.


« Les hommes de tout âge boivent abominablement, écrit-il à lady Elliot. Comment ces hommes d’état, ces grands orateurs de la chambre des communes parviennent-ils à concilier ces excès avec l’exercice de leurs devoirs politiques, c’est ce que je ne puis comprendre. Fox boit ce que j’appelle beaucoup, quoiqu’il n’en ait pas la réputation parmi ses amis, Sheridan énormément, et Grey plus que tous les autres. Ils le font cependant d’une manière plus convenable que nos ivrognes écossais, car ils peuvent, en même temps qu’ils boivent, soutenir une conversation animée sur des sujets importans. On m’assure que Pitt ne boit pas moins qu’eux, d’ordinaire plus qu’aucun des amis qui l’entourent, et qu’il est à table un très joyeux convive. »


Durant les débats de l’affaire de Warren Hastings, tandis que sir Gilbert parlait de sa place, il lui arriva d’être à plusieurs reprises interrompu par sir J. Johnstone, qui était ivre. Il est d’autres détails que sir Gilbert épargne avec raison aux chastes oreilles de lady Elliot, mais voici ce qu’il lui raconte (1789) :


« J’ai entendu parler de nouvelles intrigues parmi nos gens à la mode… Quelques-uns d’entre eux affichent ces sortes de relations aussi tranquillement et aussi ouvertement que s’ils étaient mariés. On ne peut répondre de la vertu d’aucune femme, si elle n’est pas horrible. Quelles que soient sa position, ses manières et son apparence, les lois de la nature semblent ici prédominer entièrement sur celles de la société. S’il en doit être ainsi, et s’il est écrit dans nos consciences qu’il n’y a aucun mal à cela, assurément le moins que l’on en pourra dire sera le mieux, et nous aurions tort de prendre ces désordres au tragique, comme on l’eût fait jadis ; mais assurément les gens d’autre sorte, je veux dire ceux dont les femmes étaient jeunes quand on se conduisait autrement, ceux-là doivent se tenir pour très heureux… Sheridan est fort galant et très mêlé à toutes ces intrigues de belles dames. Il me paraît singulier qu’il soit du goût de celles qui peuvent choisir, ayant une face toute rubiconde et la plus mauvaise apparence qui se puisse imaginer. On dit qu’il emploie beaucoup d’art et prend beaucoup de peine pour satisfaire, si ce n’est sa passion, du moins sa vanité ; ses manœuvres pour se démêler ensuite des embarras et des difficultés de toute sorte qu’il s’est créés ressemblent aux imbroglios les plus compliqués d’une comédie espagnole. »


On voit qu’il y a des jours où la plume de sir Gilbert, qui d’ordinaire glisse discrètement sur certains sujets, s’arme parfois de sévérité. La plupart du temps il aime à s’étendre avec complaisance sur ce qui se rapporte plus directement aux habitudes de son existence