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la vie à la pensée et inspire le courage dans l’action. Le goût de la plaisanterie et la vivacité des reparties, si fort remarqués chez Hugh Elliot, se retrouvent chez son frère aîné, mais tempérés par une nuance particulière de douceur. Il n’est pas rare de rencontrer dans sa correspondance intime, sur les personnes et sur les choses qui prêtent à rire, des observations malicieuses. C’est à ce ton d’aimable raillerie que sa belle-sœur, la spirituelle lady Malmesbury, fait allusion lorsqu’elle parle de « sa façon si comique de dire sérieusement des folies. »

Nos voisins ne pouvaient manquer d’accueillir avec faveur cette publication des papiers de lord Minto, car, en dehors des révélations qu’ils contiennent sur la vie parlementaire et mondaine de la grande société anglaise, ils sont pleins de détails qui ont trait à la politique du temps, et surtout à la lutte gigantesque entreprise par le cabinet britannique contre la France de 1789 et contre le premier empire. Lord Minto a été, pendant de longues années, un des agens les plus actifs de son gouvernement. Au point de vue français, il est assez difficile de ne pas se sentir patriotiquement froissé en le voyant mettre constamment ses plus heureuses facultés au service de ces hommes d’état passionnés qui ne croyaient pouvoir travailler à la grandeur de leur pays qu’en poursuivant l’abaissement du nôtre. Il y a des momens où l’on sent renaître involontairement en soi l’esprit du vieil antagonisme tel qu’il existait naguère au sein des générations qui nous ont précédés, alors que, dans les deux camps, la seule impartialité eût été une faiblesse. Hâtons-nous de le dire, lord Minto a été l’un des Anglais les plus exempts des préjugés de son temps. Il n’est donc que juste d’en user avec lui après sa mort comme il a fait avec nous de son vivant. Il y a plus ; n’est-ce pas toujours une satisfaction réelle pour les âmes généreuses de se trouver en présence d’un de ces hommes qui savent, de prime abord, inspirer pleine confiance, et dont l’attrait principal est fondé sur le respect dû à leur caractère ? Dans la chaleur du combat, on a pu, de part et d’autre, méconnaître certaines qualités dont on aurait tiré gloire, si elles n’avaient pas brillé dans les rangs opposés ; telle est cependant l’universelle puissance du bien qu’elle finit par s’imposer comme certaines forces de la nature dont il nous faut bien subir l’inévitable action. C’est une simple règle d’équité que d’oublier les dissentimens politiques et les aversions de peuple à peuple quand il y a au contraire toutes raisons d’honorer chez un homme de race étrangère la droiture des intentions et la noblesse des sentimens. En ce qui regarde lord Minto, l’effort ne saurait coûter beaucoup, car, si nous avons rencontré trop souvent en lui un adversaire, il ne fut jamais pour nous un véritable ennemi.