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variétés. Voici maintenant, dans le même bois, des milliers de pieds d’une pivoine appelée peregrina ; l’ensemble de leurs traits est identique ; même feuillage, mêmes fleurs, sauf que chez les uns les feuilles et les ovaires sont tout à fait glabres, chez les autres les feuilles sont pubescentes en dessous et les ovaires couverts de duvet. De Candolle a fait de ces deux formes des variétés ; mais il l’a fait sur la simple vue superficielle : l’école jordanienne en fera probablement des espèces, surtout si l’expérience des semis continués montre que ces formes glabre et velue se conservent par voie de génération. Autre cas qui prête au conflit entre l’ancienne école et la nouvelle : voici sur la plage de la Méditerranée un joli orchis que ses fleurs délicieusement odorantes ont fait appeler fragrans : gravissons les montagnes des Cévennes, nous croirons retrouver le même orchis, mais une odeur de punaise nous avertit que c’est l’orchis coriophora. Pour le botaniste de l’ancienne école, l’orchis fragrans de Pollini n’est qu’une variété de l’orchis coriophora (orchis punaise) de Linné ; mais le conflit des deux opinions persisterait alors même que les deux formes se reproduiraient de graines, car d’une part le caractère de l’odeur est reconnu pour tout à fait superficiel, et d’autre part l’école de l’espèce large admet dans les types sauvages l’existence de sous-espèces qui seraient l’équivalent spontané des races de plantes de la culture[1]. Sans multiplier les exemples du même genre, voici les concessions que nous ferons très volontiers à M. Jordan et à son école : oui, beaucoup de formes inscrites dans les livres avec des noms bien arrêtés de variétés ne sont que de purs accidens qui ne méritent qu’une mention générale ; oui, quand les variétés sauvages sont mieux tranchées, quand l’ensemble de leurs traits est modifié de manière à donner prise à une véritable diagnose, de deux choses l’une, ou nous avons affaire à deux espèces méconnues, ou tout au moins serait-il juste de donner à ces formes bien tranchées le titre de sous-espèces en laissant chaque botaniste libre de considérer ce titre tantôt comme un nom d’espèce, s’il est jordanien, tantôt comme sous-espèce, s’il se rattache à la tradition linnéenne.

Nous concéderons plus encore à M. Jordan, nous reconnaîtrons que sa méthode d’analyse et de démembrement des anciens types

  1. Nous avons au Pic de Saint-Loup, près de Montpellier, une jolie petite linaire à fleurs jaunes (linaria supina, L.) que nos botanistes ont appelée la violette du Saint-Loup, parce que ses fleurs sentent délicieusement la violette. La même plante, sur la montagne de la Sérane et ailleurs, est absolument sans parfum. Quant à la forme du linaria supina qu’on trouve dans les sables de Fontainebleau, elle est, en apparence au moins, très différente de la nôtre et ne saurait manquer pour un jordanien de constituer une autre espèce.