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plante. Par là, sans le vouloir et sans le savoir, Linné fit sûrement reculer la connaissance des espèces : il négligea d’ailleurs l’anatomie, la physiologie, la méthode expérimentale en général, et, supérieur à notre Buffon par son génie de classificateur, il lui céda le pas dans l’étude des grandes questions de généalogie des êtres dont notre siècle devait faire le pivot de l’histoire naturelle philosophique.

Une fois lancé dans des entreprises aussi vastes qu’un Systema naturæ, qu’un Genera, qu’un Species plantarum, Linné ne pouvait s’arrêter à l’étude des détails. La force même des choses, s’accordant avec la tendance naturelle de son esprit, le poussait à condenser en un petit nombre d’espèces les nombreuses formes que les anciens botanistes avaient décrites comme espèces différentes. Quelquefois ces réunions se sont trouvées justes, les vieux auteurs ayant souvent mis au même rang les espèces et les variétés ; plus souvent elles ont été fausses, et certaines espèces linnéennes, telles que myosotis scorpioïdes, ophrys insectifera, fragaria vesca, n’ont présenté sous le même nom qu’un assemblage forcé d’espèces parfaitement légitimes, déjà distinguées, en partie du moins, par des auteurs antérieurs et reprises à juste titre par des auteurs plus récens.

Hâtons-nous de le dire, ces méprises de Linné ne furent pas acceptées indifféremment comme vérités par tous ses disciples immédiats ou par les admirateurs et continuateurs de son œuvre. À côté des sectateurs serviles qui se contentaient d’appliquer tant bien que mal aux plantes de leur pays les noms linnéens avec leurs diagnoses étriquées, il y eut les travailleurs sérieux et indépendans qui consacrèrent aux plantes des descriptions détaillées et précises. Pendant que Jacquin, Swartz, Vahl, Roth, Ehrhart, perfectionnaient et corrigeaient en ce sens les procédés linnéens, l’esprit des Jussieu se reflétait dans les œuvres de Lamarck, Desfontaines et de Candolle, dirigeant les yeux de ces descripteurs non plus seulement sur les signes diagnostiques des plantes, mais sur l’ensemble de leurs traits, y compris certains caractères biologiques auxquels l’ancienne école s’attachait médiocrement. Dans notre siècle surtout, et toujours sous l’influence de la méthode naturelle, l’analyse des caractères des plantes est devenue plus pénétrante ; l’étude de leur évolution a révélé dans leurs organes végétatifs ou reproducteurs des diversités que l’on ne soupçonnait pas autrefois : c’est ainsi que les feuilles à demi caduques pendant l’hiver (caractère déjà noté par Clusius) et la maturation bisannuelle des glands ont fait distinguer le chêne-liège des Landes (quercus occidentalis, Gay) du véritable chêne-liège du Roussillon, de la Provence et de l’Algérie (quercus