Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils les consacrent. De Bagamoyo, où la mission occupe de nombreux travailleurs et répand ses bienfaits sur les malheureux, sa réputation l’a précédée dans l’intérieur, où elle retrouvera partout ses ouvriers nomades et ses pauvres reconnaissans. Son but est de pénétrer ; chacun de ses établissemens n’est qu’une étape. Devant cette action persistante, cette volonté qui ne faiblit pas, ces résultats acquis, ne peut-on pas espérer que nos missionnaires contribueront puissamment à préparer l’accès de l’Afrique ?

Si la religion chrétienne vient s’adresser, comme à ses premiers jours, aux pauvres et aux déshérités, elle prépare le renouvellement d’une société par la morale et le travail. C’est une œuvre de conviction et d’abnégation. Les gouvernemens ne disposent pas de ces moyens, ils ne peuvent que leur demander un appui. Leur but est le progrès, leur moyen d’action l’intérêt. Ils entendent rendre productives les richesses d’une contrée ; ils veulent qu’un immense marché fournisse des produits naturels qu’on paiera en produits industriels. Cette préoccupation légitime dirige surtout la Grande-Bretagne, dont les hommes politiques, ne cédant plus à ces sentimens passionnés qui naissent de la résistance, comprendront bien vite qu’en l’état de leur industrie sans rivale, civiliser, c’est conquérir. Qu’importe à la Grande-Bretagne l’acquisition d’une nouvelle colonie ? Ce qui lui importe, c’est de développer son commerce, de se créer de nouveaux débouchés. Ce qu’elle a fait dans cette vue aux Indes, qu’elle l’encourage ici ; nul ne s’y oppose. Si l’Angleterre prenait Zanzibar, son premier soin serait de jeter sur la côte les rails d’un chemin de fer. Pourquoi tarder ? Le souverain, à qui cette idée était suggérée, ne l’avait-il pas adoptée tout d’abord avec un sens pratique qu’on trouve rarement chez un Arabe ? Ici il faut renoncer à établir des routes inutiles, puisque les animaux de charge, succombant à la piqûre des mouches tsetsé, ne peuvent traverser qu’une zone de 30 à 40 lieues à partir du rivage de la mer. À défaut d’animaux de charge ou de charrois, les nègres porteurs n’ont besoin que d’un étroit sentier ; chacun d’eux porte environ 50 livres. Que l’on calcule ce qu’un homme dépense de force pour pousser un chariot sur rail, et l’on verra qu’avant même que la vapeur entraîne des wagons sur la route d’Oujiji il y aurait beaucoup à gagner au chemin de fer dans son acception primitive. Ne cessons donc pas de le dire, quelques kilomètres de lignes de fer prépareront ce que n’ont pu atteindre les comités anti-esclavagistes ou les philanthropes : avec l’accès de l’Afrique centrale, l’abolition de l’esclavage.


P.-D. THOUVENIN.