Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendu sur la côte, il a suivi les routes tracées par les caravanes de nègres, il a constaté que toutes se dirigeaient maintenant vers le nord, mais il n’a pu indiquer leur destination. D’autre part, son rapport donne un tableau navrant des misères des malheureux esclaves ; il évalue à 75 pour 100 la perte sur les hommes, réduits déjà, au dire du docteur Livingstone, des quatre cinquièmes du nombre primitif à leur arrivée sur la côte. Ces chiffres sont effrayans. Que faire ? Pour s’opposer à l’embarquement, il faudrait occuper une immense étendue de côtes. Est-ce possible ? Ne valait-il pas mieux tolérer pendant quelques années encore l’introduction des esclaves à Zanzibar, admettre un régime transitoire, réduire successivement le nombre des travailleurs, et, puisqu’un courant de commerce était établi, ne pas l’interrompre d’un seul coup, le modérer, le surveiller, intéresser les propriétaires et les conduire à se passer du recrutement annuel ? La contrainte ne peut au contraire qu’être aggravée. Dans cet ordre d’idées, on est légitimement amené de l’intervention à l’occupation. Aucune mesure ne sera satisfaisante hormis la prise de possession. Cette perspective ne semble pas effrayer la Grande-Bretagne, qui trouverait dans l’Afrique tropicale les richesses dont elle a tiré si grand parti aux Indes. Il n’est plus à propos de songer à la retenir ; il serait politique de l’aider et de déterminer d’abord la part qui nous reviendrait dans l’alliance. La situation de la France justifie cet intérêt.

On fait peu de cas chez nous des colonies, et nous nous sommes tenus à l’écart depuis 1840. Internés dans les îles, qui n’ont que de rares communications entre elles, nous nous habituons à dédaigner nos propres possessions. Nous n’avons ni le Cap, ni la colonie de Natal ; nous abandonnons l’établissement de Bab-el-Mandeb, à peine formé ; il nous reste pourtant la Réunion, plus grande que Maurice, Sainte-Marie de Madagascar et Nossibé, d’où nous avons accès à Madagascar, Mayotte, dans le groupe des Comores, plus voisine de Zanzibar que ne l’est l’île anglaise la plus rapprochée, Mahé des Seychelles. Dans toutes ces îles, françaises ou anglaises, les coutumes, la langue, sont françaises. La plus importante, Maurice, est régie, comme Mahé, par nos lois ; les actes de la justice sont dressés en français, si la sentence du juge est rendue en anglais. Faut-il un fait significatif, auquel on a prêté peu d’attention ? Une reine de Mohélie, petite île voisine de Mayotte, vient à Paris pour soutenir je ne sais quelle réclamation. Cette souveraine parle le français, et l’on trouve cela bien naturel sans doute, si l’on remarque que les traditions françaises se sont perpétuées là comme elles se sont conservées à la Nouvelle-Orléans ou au Canada. Convenons donc, dût-il en coûter à notre modestie, que dans cet Océan indien, dans ces pays dont on ne s’occupe point, nous avons laissé des souvenirs qui