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inexplorée en offre à ceux qui savent pénétrer ses mystères, et voilà d’un coup une contrée ouverte ! Les mines de diamans de Natal en fournissent un exemple. Des travailleurs affluent, des villes se fondent, il faut nourrir tout ce monde ; les besoins sont impérieux, des gains énormes sont illusoires quand la vie matérielle de chaque jour exige des dépenses également élevées. On assiste à un nouveau roman de la Californie, où l’artisan édifie sa fortune au détriment du chercheur d’or. Rêves ! dira-t-on ; soit, mais si l’Afrique centrale ne recèle point les trésors de la Californie, de l’Australie, du Cap ou de Natal, une magnifique végétation et un sol que tous les rapports estiment plus fertile que celui des Indes assurent, avec la nourriture d’un nombre incalculable d’hommes, l’échange de produits naturels contre les produits manufacturés de l’Europe.

En opposition avec cet avenir, le présent nous montre une population clair-semée, constamment menacée, et chez laquelle les plus forts d’un jour réduisent leurs adversaires à la servitude pour s’en faire une marchandise. S’il faut donc considérer l’homme à ce triste point de vue, il est nécessaire d’appliquer les lois économiques qui président aux transactions, avec les variations de l’offre et de la demande. Nous avons vu que le monde musulman n’a jamais renoncé qu’en théorie à rechercher des esclaves ; il s’approvisionne plus ou moins facilement. Les obstacles sont-ils grands du côté de Zanzibar, les croisières sont-elles actives, l’esclave acquiert une forte valeur en pays d’arrivée, tandis que ces difficultés le déprécient au pays de provenance ; mais cette dépréciation engage-t-elle les trafiquans à entreprendre un autre commerce ? Nullement, car il est impossible de trouver une matière d’échange ; et l’indigène n’a point intérêt à employer aux travaux de culture les esclaves qu’une guerre heureuse a mis en son pouvoir. Il les vend alors à vil prix ; ce qu’il obtenait en livrant un homme, il ne l’a plus qu’avec peine en en offrant deux ou trois. Lors de la dernière croisière anglaise, coïncidant avec le séjour de sir Bartle Frere, les esclaves amenés à Quiloa, port de la terre ferme au sud de Zanzibar, ne trouvaient pas marchand à 20 francs, parce qu’au lieu de les embarquer pour Zanzibar, force était de les conduire par terre au nord dans des ports moins surveillés, et que ces marches fatigantes, subies par des hommes déjà affaiblis, devaient coûter la vie à nombre d’entre eux. Toute répression va donc contre le but philanthropique qu’on lui assigne. L’homme d’état ne voit plus qu’une chance de succès : impuissant à atteindre l’esclavage en pays musulman, cédant devant les besoins impérieux auxquels la traite donne satisfaction en Afrique, il ne lui reste plus qu’à entreprendre de civiliser l’Afrique ou de l’occuper. C’est la conclusion à laquelle sir Bartle Frere est logiquement conduit lorsque, interrogé sur l’efficacité des