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des droits cédés pour un temps par leurs maîtres ; force avait été de demander des travailleurs à la journée. Ainsi font les négocians européens de la ville, qui emploient journellement des milliers d’esclaves venant d’eux-mêmes s’offrir le matin, et entre les mains desquels est payé au coucher du soleil le salaire convenu. On pourrait s’étonner de la bonne volonté de l’esclave, si l’on considérait la situation sociale d’après les idées généralement admises ; mais ici l’esclave est intéressé au travail. Du salaire que rapporte le travail journalier, et qui est de 10 peças, environ 40 centimes de notre monnaie, pour le plus grand nombre, enfans ou jeunes gens des deux sexes de douze à vingt ans, l’esclave rend 8 peças à son maître, en garde 2 pour son entretien. Il ne doit que cinq jours de travail par semaine, et il peut disposer à son gré des deux jours qui lui sont accordés ; il peut se louer pour son compte, s’il est accoutumé aux travaux de la ville, ou, s’il est sur une plantation, venir apporter le fourrage, qu’il n’a que la peine de couper, les fruits sauvages et les produits du champ que tout esclave de la campagne reçoit de son maître.

Ces conditions si douces du travail de la ville et des campagnes retenaient les esclaves, qu’effrayait en outre la distance à parcourir pour se rendre à la plantation et à l’usine à sucre de l’industriel anglais, et sans doute de grandes difficultés eussent entravé une exploitation dont l’aménagement fait le plus grand honneur à M. Frazer, si les noirs ramenés par les croisières, acceptés comme travailleurs libres sous tempérament et payés, n’avaient reformé le personnel. Les esclaves donnés aux missions catholique et protestante ou remis à des particuliers, devenus libres en principe par le fait du passage en des mains européennes, doivent être traités avec la plus grande douceur ; on est heureux de voir les missionnaires consacrer leurs efforts à l’éducation et à la moralisation des enfans qui leur sont confiés. En ce moment, il ne nous appartient que de conclure à la parfaite liberté d’action qu’exerce en pays indépendant et musulman l’agent du gouvernement anglais, investi des pouvoirs d’un gouverneur de colonie. C’est dégager le sultan de la responsabilité qu’on fait peser sur lui.

Une autre accusation consistait à reprocher au souverain sa complicité dans le maintien de la traite en raison du bénéfice qu’il en retirait par les droits acquittés à l’entrée et à la sortie de chaque esclave. Ces droits en effet, s’élevant à la somme de 250,000 francs, représentaient un cinquième du revenu ; mais ce revenu n’est pas acquis par perception directe : tous les produits de la douane sont affermés à un sujet anglais, qui pourrait demander une diminution dans le prix stipulé au cas où une réduction surviendrait sur le produit brut. Il est constant qu’en moyenne 20,000 esclaves entrent