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Des Indiens en grand nombre l’habitaient, Indiens musulmans nés à Zanzibar, Indiens originaires de Keutch, province du Golfe-Persique. Keutch était autrefois tributaire du royaume de Delhi ; puis, quand Delhi fut pris par les troupes anglaises, il s’y établit un protectorat indien réservant la puissance nominale du souverain. L’empire britannique indien perçut l’impôt des pays tributaires de Delhi et entre autres de Keutch. Il ne nous appartient pas de décider si le lien de protectorat devait s’étendre jusqu’à Zanzibar, pays indépendant. Le gérant du consulat anglais tranche lui-même la question de droit lorsqu’il dit dans sa lettre insérée au rapport de la commission de 1871 : « Sans doute il y a beaucoup de sujets de Keutch ici, mais les sujets de Keutch ne sont pas Indiens anglais, et je pense que sous l’empire des nouveaux actes de naturalisation, les Indiens anglais eux-mêmes peuvent devenir Arabes, s’il leur plaît. Nous retenons en réalité les deux tiers de nos sujets nominaux contre leur gré, c’est-à-dire sous notre juridiction, mais non sous notre protection, car ils ne veulent pas figurer sur nos registres. » La juridiction, sinon la protection, avait d’ailleurs un résultat pratique, indépendamment de l’importance que prenait dans le pays l’agent britannique de Bombay ; gouvernant une colonie nombreuse, il usait utilement de son pouvoir pour interdire formellement à ses administrés l’achat et la possession d’esclaves. Comme sanction de cette défense, les contrevenans devaient subir la perte de la protection. Les Indiens, peu soucieux de conserver une situation dont ils ne voyaient pas les avantages et attachés à des coutumes qu’ils avaient toujours conservées, se hâtèrent de s’offrir comme sujets au sultan de Zanzibar, sous les lois duquel ils avaient toujours vécu, sans s’être jamais demandé quels étaient les devoirs et les droits qu’impose la société. Le sultan les admit à protection ; mais un patronage n’était pas une sauvegarde.

À l’agent britannique dont le zèle mal dirigé avait ainsi compromis les intérêts de la Grande-Bretagne, succéda un homme plus hardi, qui ne tint pas compte des actes de son prédécesseur, fit construire une prison et déclara que les Indiens possesseurs d’esclaves seraient incarcérés. Il n’était plus parlé de l’abandon de la protection. Agissant en même temps auprès du souverain de Zanzibar, cet agent insistait énergiquement pour le paiement des 200,000 francs et de l’arriéré. Devant la menace appuyée de la force, le sultan renonçait aux droits qu’il avait acceptés sur ses nouveaux sujets, et, sans qu’une stipulation intervînt, il se résignait à l’application de la nouvelle décision.

Ces démêlés n’avaient point été sans appeler l’attention du gouvernement français, et lorsque, par suite d’une accusation que rien ne venait motiver, le ministère anglais parut suspecter des vues