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chaque mot aurait dû être sacré. Il était sur la voie d’une grande découverte et demandait un court sursis pour l’achever. On s’adressa à Coffinhal. « La république, répondit cette brute, n’a pas besoin de savans. » Qui sait ce que la guillotine emporta ce jour-là ? Peut-être un secret de la nature que l’humanité ne retrouvera pas avant des siècles.

Tout ce sang versé criait vengeance, et l’expiation ne devait pas se faire attendre. Quelques semaines après l’exécution de 33 fermiers et cinq jours seulement après celle du banquier de La Borde, qui était venue en dernier lieu, la chute de Robespierre amena la fin du règne de la terreur. Coup sur coup, les revanches arrivèrent à leur tour ; Fouquier-Tinville dut s’asseoir sur la sellette où il avait injurié tant de braves gens avant de les envoyer à la mort. Il fut prouvé alors, par l’inspection des pièces, que l’acte d’accusation relatif aux fermiers-généraux avait été antidaté, et que pour la sentence il n’y avait pas eu de déclaration du jury : la feuille signée Coffinhal était restée en blanc ; voilà comment on rendait alors la justice. De toutes parts, les récriminations pleuvaient sur les comités spéciaux de la convention ; les familles, les tiers, les créanciers surtout s’attachaient à l’envi et avec une sorte d’acharnement aux épaves qui restaient du naufrage de tant de fortunes. Pour les liquidations importantes, il se créa même des conseils et des défenseurs autorisés : ainsi en fut-il d’Antoine Roy, qui devait être un jour ministre des finances et qui alors eut pour cliens les créanciers des fermiers-généraux. C’était une grosse affaire, digne d’un financier aussi consommé. D’après le travail des réviseurs, les sommes répétées sur les fermiers, tant condamnés que décédés ou vivans, sur les croupiers et les pensionnaires se montaient à 130,347,262 livres, ce qui était déjà un joli denier, comme on le voit. Les créanciers contestaient le chiffre comme très inférieur au chiffre réel et demandaient à le débattre contre les réviseurs qui en avaient établi les termes. Le comité des finances fut chargé de vérifier jusqu’à quel point cette prétention était fondée.

De son côté, Dupin, qui ne se sentait pas à l’aise dans ce retour d’opinion, aima mieux affronter le danger que l’attendre, et se mit volontairement en cause dans une motion d’ordre qu’il fit à la convention. Cette pièce est une amende honorable de tout ce qui avait eu lieu et à ce titre un des signes des temps. Dupin avoue ses regrets, même ses remords ; il ne se dissimule pas que le décret rendu sur son rapport et au nom des comités par la convention nationale a été le tocsin de la mort des fermiers-généraux, mais il ajoute, comme excuse, que la responsabilité doit en retomber sur a les scélérats, qui, à la faveur d’un masque de popularité, exerçaient sur l’assemblée un despotisme dont les annales d’une nation offrent peu d’exem-