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exploit que la France s’abaissa à n’être plus qu’un « corps de réserve aux ordres de l’Autriche, » comme l’a dit le comte de Broglie, et qu’elle perdit, avec sa vieille réputation militaire, ses colonies de l’Inde et de l’Amérique, 200,000 hommes, plusieurs centaines de millions ! L’entreprise était insensée. En France et hors de France, l’opinion publique éclairée, l’esprit du siècle, qui n’était plus un vain mot, condamnait la politique du roi très chrétien. Cette politique ultramontaine est la même qui inspira les coups d’autorité du roi contre les parlemens. L’édit rendu plus tard contre les jésuites ne tire pas à conséquence : Louis XV céda devant l’ouragan qu’il voyait venir ; mais de cœur il était et il fut toujours avec les jésuites[1]. C’est une fatalité historique de la maison de France d’être demeurée la servante des évêques de Rome, sans vouloir tenir compte des changemens survenus dans l’Occident depuis le XVIe siècle, et d’avoir sacrifié le meilleur sang des Français à cette cause perdue, vraiment digne d’un autre âge, de la domination de l’église catholique romaine dans le monde civilisé.

On le voit, la Correspondance inédite du chevalier Daydie n’est point dénuée de tout intérêt supérieur. On est d’abord tenté, et à bon droit, de trouver monotones les épîtres du chevalier au bailli de Froullay, à la marquise de Créquy et à la comtesse de Tessé : ce n’est pourtant pas en vain qu’on a vu de près et entretenu des hommes comme Montesquieu et Voltaire, des femmes comme la marquise Du Deffand et Mme de Tencin elle-même ; on en emporte toujours quelque supériorité, certaines façons de penser et de dire qui chez les natures vulgaires elles-mêmes survivent à toutes les défaillances de l’esprit et du cœur. Le chevalier Daydie en est la meilleure preuve. Maintenant qu’on le connaît, on ne voudra certes pas nier qu’il n’eût un cœur sensible, une âme naïve, un jugement sain et le sentiment de l’honneur ; mais c’en est fait de l’illusion d’amour, de l’éclair de poésie qui luisait au front de l’amant d’Aïssé. Entre tous les fils des hommes, il n’en est point né de moins propre à faire un héros de roman.


JULES SOURY.



Un Conteur Norrain.
Norske Folke-eventyr, fortalte af P. Chr. Asbjœrnsen, 1871.


Il est un nom aimé entre tous en Norvège, c’est celui de Peter-Christen Asbiœrnsen. Vieux et jeunes, riches et pauvres, ignorans et lettrés, tous connaissent les folke-eventyr (contes populaires) et les huldrc-eventyr (contes de fées), recueillis patiemment de la bouche même du peuple et publiés successivement par le fécond écrivain. Fils d’un pauvre vitrier, M. Asbiœrnsen est né à Christiania en 1812. Ses études furent entravées plus d’une fois par une santé fragile et par la nécessité d’aider

  1. Theiner, Histoire du pontificat de Clément XIV, 1852, t. Ier, p. 32.