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que les cœurs sont élargis. — Pour peu que les planètes se rapprochent encore, on verra les femmes demander des chapeaux et les hommes des cornettes, une bourgeoise plaider au Châtelet et son mari monter une garniture, « la femme d’un président prononcer des arrêts et le président faire des nœuds, une comtesse donner un mandement et un prélat en couches. » Il est impossible de peindre en traits plus vifs l’abaissement moral et ce que l’auteur anonyme de la Chronique arétine appelle l’abâtardissement momentané de la nation.

La Chronique arétine, publiée sous Louis XVI, est une sorte de biographie romanesque des femmes galantes et des actrices. Elle ouvre la série des livres du même genre qui se sont produits en si grand nombre de notre temps sous les titres les plus divers : les Oiseaux de nuit, les Filles d’Hérodiade, les Pécheresses, etc. Seulement l’auteur envisage son sujet d’un point de vue plus haut et plus triste. Tout en prodiguant les anecdotes scandaleuses, il ne manque jamais de dresser l’inventaire des imbéciles et des vaniteux que les impures, c’est ainsi qu’il les nomme, ont ruinés, déshonorés, et souvent même conduits au crime. Il dévoile les honteuses spéculations auxquelles les hommes les plus haut placés dans l’état ne rougissaient point de les associer, comme Louis XV avait associé ses favorites et ses courtisans aux bénéfices des croupes, et il cite entre autres exemples Mlle d’Hervieux de l’Opéra. « L’homme par excellence auquel Mlle d’Hervieux a dû sa plus haute splendeur est sans contredit M. le M. R. Sous le règne de cet amour, Mlle d’Hervieux était la dispensatrice des grâces. La police lui était entièrement subordonnée : des calculs modérés font monter à 800,000 livres les sommes résultantes des intérêts sans mise de fonds que cet amant avait accordés à cette courtisane sur les banques de jeu autorisées par le magistrat. La sévérité déplacée du parlement fit évanouir cette excellente branche de revenu qui, continuée encore quelques années seulement, eût mis Mlle d’Hervieux en état d’élever un monument qui l’aurait disputé à celui de cette célèbre courtisane de Memphis qui édifia, dit-on, une pyramide de deux cents toises dont chaque pierre avait été fournie par un de ses amans. »

Les conteurs du XVIIIe siècle, comme ceux des âges précédens, se montrent sévères pour les femmes ; mais les apologies marchent de front avec la satire, et l’on est loin du temps où les théologiens discutaient sur la question de savoir si elles avaient une âme. Florian, dans les Nouvelles, Marmontel dans les Contes moraux, protestent contre l’impertinence des grammairiens qui prétendent que le genre masculin est plus noble que le genre féminin. Ils représentent tous deux, dans son expression la plus exagérée, le faux sentimentalisme