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LES
CONTEURS FRANÇAIS
AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE

On a souvent comparé, au point de vue des productions de l’esprit, le siècle de Louis XIV et le siècle de Voltaire ; mais on a toujours oublié dans le parallèle les romans et les contes, et par cette branche de notre littérature la supériorité appartient sans conteste au dernier venu. Malgré les désastres de la fin du grand règne, malgré les catastrophes financières de la régence, les malheurs de la guerre de sept ans, la bulle Unigenitus et les folies mystiques des convulsions, la fantaisie déborde au XVIIIe siècle. Tandis que d’un côté les philosophes, les physiocrates et les publicistes ouvrent une vaste enquête sur les droits des peuples et des gouvernemens, les sources de la misère et de la richesse, la religion et la science, une foule d’écrivains se donnent libre carrière dans le domaine de l’imagination. Placés sur la limite indécise de l’ancien régime et de la société nouvelle qui surgira de la révolution, ils rappellent par certains côtés rétrospectifs Segrais et Mlle de Scudéry, et par d’autres ils annoncent les déclamations des clubs contre la superstition, les doléances des états-généraux contre les abus, et dans tous les cas ils donnent une idée exacte de ce singulier mélange de corruption et d’idées généreuses, de tolérance religieuse et d’intolérance philosophique, de frivolité et d’ardente passion pour la recherche de la vérité, qui est comme le fond même de notre tempérament national. Sous les derniers Bourbons, pour la langue comme pour les idées, l’évolution est profonde, et le même fait se produit dans les relations de l’intelligence internationale. L’Italie et l’Espagne sous Louis XIII et sous Louis XIV avaient seules attiré l’attention des