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soldats du lendemain, faisait son entrée sur une scène parfaitement connue de lui, et marchait dans un pays étudié d’avance, vers un but arrêté, beaucoup de nos chefs voyaient les Vosges pour la première fois, mais ils avaient peut-être dans la mémoire sur les bassins de l’Elbe et du Danube des notions aussi justes, sinon aussi détaillées, que les envahisseurs en possédaient dans leurs sacs sur les régions de la Moselle et de la Seine.

Cependant, que la masse de l’armée française fût ignorante en géographie, nous ne songeons pas à le nier, nous avouerons même sans difficulté que notre nation avait montré jusqu’alors un certain dédain pour une science considérée trop généralement chez nous comme une sèche nomenclature propre à exercer la mémoire des enfans. Peut-être ne serait-il pas impossible de découvrir encore aujourd’hui des hommes de bonne compagnie qui se refusent à regarder les connaissances géographiques comme faisant partie, au même titre que l’orthographe et l’histoire, de l’éducation de toute personne bien élevée. Combien ignorent que, depuis Karl Ritter, la géographie est une science philosophique touchant à tous les grands problèmes de la vie matérielle et même de la vie morale de l’homme aussi bien qu’à toutes les lois du monde physique ! Cette ignorance superbe et ce dédain suranné font place aujourd’hui au désir général de s’instruire : on en cherche les moyens et l’on commence à demander des livres. Malheureusement on n’a le plus souvent sous la main que ces petits manuels composés sans méthode, sans clarté, mal écrits, dépourvus à la fois d’intérêt et d’agrément, des atlas confus, mal gravés, illisibles ou arriérés de quarante ans comme celui de Brué, dont on essaie vainement de rajeunir les cuivres en les surchargeant, et l’on s’écrie qu’il n’y a en France ni géographes, ni livres, ni cartes. C’est là une grave erreur. Nous avons des géographes, les uns savans, les autres vulgarisateurs, et souvent l’un et l’autre à la fois ; nous avons des livres, nous aurons bientôt des cartes, et d’abord, pour ne citer que peu de noms, depuis huit années déjà nous sommes en possession d’une Géographie générale qu’on étudie avec fruit à l’École normale supérieure comme à Saint-Cyr. L’auteur, M. Dussieux, possède, il est vrai, le rare mérite de fuir le bruit, il n’est d’aucune société et n’a sollicité les suffrages d’aucune académie. Sans parler ici des travaux purement scientifiques de M. d’Avezac et de M. Vivien de Saint-Martin, qui ont ouvert des tranchées dans plus d’un domaine de la géographie historique, et pour nous en tenir aux livres d’un usage plus général, comment ne pas citer en première ligne la Terre de M. Elisée Reclus ? Quel autre en Europe, depuis Humboldt et Karl Ritter, a abordé avec plus de