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et restreint de la géographie telle que la comprenaient nos pères ; mais ils ont fini par en prendre leur parti d’assez bonne grâce, on s’est même aperçu que tous y gagnaient ; tant de connaissances diverses promptement échangées ont reculé les horizons, et, sans perdre de vue sa spécialité, chacun est devenu quelque peu encyclopédiste.

Grâce au calme qui succède à la confusion première, on apprécie aussi plus sainement les événemens militaires de la dernière guerre et les causes de faiblesse qui ont contribué à les rendre si funestes pour nous ; on sait maintenant que ces événemens ont moins trahi l’ignorance géographique de nos officiers que l’insuffisance d’un bagage spécial, la pénurie où ils étaient de documens topographiques, et surtout l’imprévoyance des chefs qui, parmi leurs plus graves oublis, s’étaient bien gardés de songer à l’éventualité d’un revers. L’agresseur a toujours cet immense avantage, qu’ayant un objectif déterminé il aborde un théâtre longtemps étudié. Les cartes de la Lorraine et des départemens voisins qu’il avait en si grand nombre entre les mains prouvent surtout que ces documens faisaient partie de son équipement de campagne, et non pas, comme on l’a dit, que les notions scientifiques que nos ennemis semblaient posséder témoignassent d’une instruction préalable très solide et très étendue. Hélas ! nos officiers, et surtout dans le corps du génie, connaissaient parfaitement la topographie de Coblentz et même celle de Dantzig ; les cartons du dépôt des fortifications étaient bourrés de documens sur les places prussiennes, et le mot du Times n’était que trop vrai : « les Français sont partis pour la victoire, non pour la guerre. » Il est bien évident qu’on n’avait ni prévu, ni par conséquent étudié la campagne de France et encore bien moins le siège que nous avons subi en 1870 ; aussi n’a-t-on rien trouvé sur les environs de Paris, rien sur les abords même de l’enceinte et des forts. C’est l’honneur de M. Levasseur et des colonels Laussedat et Secrétain d’avoir entrepris alors, — avec le concours de quelques professeurs de l’Université, de trois capitaines du génie et du petit nombre des élèves de l’École normale supérieure que leur santé avait empêchés d’être soldats, — d’inscrire à la hâte sur la carte planimétrique de la banlieue les courbes horizontales empruntées aux minutes des plans de nivellemens des compagnies de chemins de fer, et de pouvoir mettre ainsi, en l’espace de vingt jours, à la disposition du général Trochu plusieurs exemplaires d’une carte donnant tous les mouvemens de terrain à une très grande échelle ; est-il besoin d’ajouter que ce précieux document ne servit à rien ? Il en fut à peu près de même partout. Aussi pendant que l’ennemi, qui comptait dans ses rangs bon nombre de ces espions de la veille,