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droits qui n’étaient eux-mêmes que l’abus de la force et le privilège de la barbarie. La guerre n’est plus qu’un duel entre les peuples, et la loi du combat proscrit comme des choses déshonnêtes les actes de pillage au même titre qu’elle défend le meurtre, l’incendie a sans nécessité. » Et la justice qui intervient après la lutte pour rappeler à tous le respect de ces règles peut trouver dans la philosophie moderne un code tout fait, qu’elle invoque sans avoir à redouter les protestations d’aucun état en Europe.

Il nous plaît de voir ainsi la magistrature mêler sa voix à celle de la philosophie, et dans la mesure de ses pouvoirs livrer la guerre à la guerre. En cette matière, il convenait de faire énergiquement la part de la morale et du droit. La force a trop longtemps régné, ne laissant après elle que cette trace de sang à laquelle on la suit à travers les gouvernemens et les âges. Qu’on invoque la raison d’état, soit. Dans les cas extrêmes, il ne saurait être interdit de pourvoir à sa propre sécurité par la puissance du bras ou des armes. À ce point de vue, M. de Moltke avait raison de rappeler que le premier besoin des états est d’exister et d’assurer leur existence du côté de l’extérieur ; mais gardons-nous de croire avec lui que, « si à l’intérieur la loi protège le droit et la liberté des citoyens, c’est la puissance seule qui peut à l’extérieur protéger l’état vis-à-vis de l’état. » Tout autre est la doctrine qui aujourd’hui, environnée d’un nouvel éclat, triomphera, nous voulons l’espérer, bien qu’elle ait été lente à s’imposer à la vieille politique internationale et à l’aveuglement des peuples. Disons-le donc, il ne saurait exister deux morales pour les états, celle du dedans et celle du dehors ; il n’y a point non plus deux justices pour les nations, celle qu’on demande au droit et celle qui viendrait de la force. Si, pour les particuliers comme pour les états, il est permis d’invoquer la loi suprême de la nécessité, c’est la dernière à laquelle on doive toujours recourir. Aussi acceptons-nous comme un heureux présage ce qui se prépare en ce moment dans un pays voisin. De ce congrès, verrons-nous sortir ce qu’on pourrait appeler avec orgueil le code des nations ? Ne demandons pas tant du premier coup aux louables efforts de la diplomatie, et soyons-lui profondément reconnaissans, si elle parvient à nous donner quelques feuillets de ce beau livre, car par là seulement elle aura encore beaucoup fait pour la grande cause de l’humanité.


JULES LE BERQUIER.