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s’étaient élevés entre les deux pays à l’occasion de la guerre de la sécession. Après avoir fixé pour l’avenir un certain nombre de règles de droit qui régiront désormais ces deux puissances et forment les premiers linéamens d’un code international à leur usage, la haute commission décida que toutes les réclamations se rapportant à la question de l’Alabama et des autres corsaires (Alabama Claims) seraient soumises au jugement arbitral de cinq membres qui se réuniraient à Genève et seraient désignés, un par les États-Unis, un par l’Angleterre, un par le président de la confédération suisse, un par le roi d’Italie et un par l’empereur du Brésil. Dans l’ordre où elles viennent d’être indiquées, les cinq puissances furent représentées par MM. Charles Francis Adams, sir Alexandre Cockburn, Jacob Stæmpfli, le comte Frédéric Sclopis et le baron d’Itajuba. Durant la guerre de la sécession, l’Angleterre s’était-elle conformée aux obligations qui sont imposées aux états neutres ? Telle était la question à résoudre et que développèrent M. Bancroft-Davis pour les États-Unis, et lord Tenterden pour la Grande-Bretagne. Les procès-verbaux de ce grand débat ont été publiés à Washington ; ils contiennent un véritable traité de droit international et sont curieux à plus d’un titre ; mais une fois de plus ils révèlent au plus haut degré le déplorable état du droit des gens à notre époque. La première difficulté fut de définir les obligations qui découlent de la neutralité. Or c’est par des prodiges de recherche et d’argumentation qu’on parvint à ériger les règles qui devaient servir de base à l’appréciation de la conduite de l’Angleterre. Tout fut compulsé, les traités, les actes de la diplomatie, les écrits des publicistes, Vinnius et Bartole, Erskine et Domat, MM. Hautefeuille et Théodore Ortolan, et, qui le croirait ? Virgile lui-même. Il s’agissait de définir la faute, de caractériser la négligence qui résulte « de l’absence de diligence, » et la culpa lata, la culpa levis, la culpa levissima, occupèrent plusieurs séances. « Ce que le droit dit de latiore culpa, affirmait l’avocat des États-Unis, s’applique parfois à la lata culpa, de la même manière qu’un comparatif est employé dans certains cas pour un positif, comme dans Virgile : trislior et lacrymis oculos suffusa nitentes. » Ne croirait-on pas assister à une audience du parlement au XVIe siècle ? Somme toute, le conflit était grave et de nature à engendrer une guerre désastreuse. Il fut vidé par un jugement qui a plus fait pour l’arbitrage international qu’aucune autre mesure. Le 12 septembre 1872, le tribunal de Genève condamnait l’Angleterre à payer en bloc à l’Amérique 75 millions de francs, attendu qu’en plusieurs points elle avait manqué « aux dues diligences » que lui imposaient les devoirs de la neutralité[1].

  1. En 1872, la question de la baie de San-Juan était encore réglée entre les États-Unis et l’Angleterre par une décision arbitrale.