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aussitôt sur ses pas, il décidait que l’inviolabilité cesserait dès que les ambassadeurs auraient eux-mêmes violé ce droit. Napoléon repoussa énergiquement le principe de l’inviolabilité ; tout ce qu’il pouvait admettre, c’était que les agens diplomatiques ne devinssent justiciables qu’après la décision d’une commission de hauts dignitaires composée par lui. « M’objecterez-vous, disait-il, que les souverains, se trouvant compromis dans la personne de leurs représentans, ne m’enverront plus d’ambassadeurs ? Je retirerais les miens, et l’état gagnerait d’immenses salaires fort onéreux et souvent au moins très inutiles. Pourquoi voudrait-on soustraire les ambassadeurs à toute juridiction ? Ils ne doivent être envoyés que pour être agréables, pour entretenir un échange de bienveillance et d’amitié entre les souverains respectifs. S’ils sortent de ces limites, je voudrais qu’ils rentrassent dans la classe de tous, dans le droit commun. Je ne saurais admettre tacitement qu’ils pussent être auprès de moi à titre d’espions à gages, ou bien alors je suis un sot, et je mérite tout le mal qu’il peut m’en arriver. Seulement il s’agit de s’entendre et de le proclamer d’avance, afin de ne pas tomber dans l’inconvénient de violer ce qu’on est convenu d’appeler jusqu’ici le droit des gens et les habitudes reçues. » Le conseil d’état, modifiant son projet, revint au droit commun ; seulement il subordonnait les poursuites à l’autorisation préalable du ministre des affaires étrangères.

Cependant la nouvelle proposition ne manquait-elle pas tout à la fois de logique et d’utilité pratique ? Il importait fort peu de poser une règle rigoureuse et de soumettre les agens diplomatiques au droit commun, si l’on faisait intervenir l’examen préjudiciel d’un ministre. M. d’Hauterive eut beau jeu contre cette proposition, qu’il repoussait à son tour ; mais il se donna le plaisir de faire en règle le siège des théories en cette matière. Les unes soutiennent l’indépendance absolue des agens diplomatiques, les autres subordonnent cette indépendance aux lois d’ordre public. Les opinions sur ce point ont varié selon l’esprit des temps ou la position des écrivains ; elles ont été mises en avant pour la plupart « par des hommes de cabinet, » par « des faiseurs de livres, » étrangers aux affaires et peu pénétrés du véritable caractère des fonctions diplomatiques. M. d’Hauterive qualifiait ainsi les auteurs que l’on est habitué à consulter, et auxquels Merlin avait emprunté tous les élémens de son mémoire, et, pour donner plus de force à son observation, il faisait remarquer que Grotius, dans le cours d’une longue vie, n’avait été ambassadeur que pendant dix mois, que Pufendorf, Vattel, Barbeyrac, étaient des gens de lettres, que Bynkershœck était un magistrat, que Mornac, Hofman, étaient des jurisconsultes, Albéric Gentil un prédicant, et Besold un simple professeur de droit.