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français n’eussent point de privilèges à l’étranger, et qu’on les arrêtât, s’ils ne payaient pas leurs dettes ou s’ils conspiraient, que de donner aux ambassadeurs étrangers des privilèges en France, où ils peuvent plus facilement conspirer parce que c’est une république. Le peuple de Paris est assez badaud ; il ne faut pas encore grandir à ses yeux un ambassadeur, qu’il regarde comme valant dix fois plus qu’un autre homme. Les autres puissances n’ont point à cet égard établi des principes aussi formels que ceux qu’on nous propose d’adopter. Il serait préférable de n’en pas parler. » Et la disposition fut écartée.

Au surplus, il faut bien le reconnaître, le point était scabreux. Était-il même susceptible d’être utilement abordé dans les conseils législatifs d’une seule puissance ? L’intéressant débat qui eut lieu en 1810 au conseil d’état, débat peu connu et qui rentre à plus d’un titre dans cette étude, permet d’en douter. Toujours à propos de la condition des agens diplomatiques, des regards plus clairvoyans furent portés alors sur ces vastes solitudes du droit des gens que Rossi prenait en pitié. Cette condition avait préoccupé Montesquieu, qui y voyait une source perpétuelle de conflits ; elle préoccupait non moins Napoléon : dans l’espèce d’isolement où il se trouvait à l’égard des autres états, elle s’offrait sans cesse à son esprit comme un des plus agaçans problèmes. Il résolut d’en finir et de la soumettre à un examen décisif. Appelé à se prononcer, le conseil d’état dès les premiers pas déclarait qu’en l’absence de lois positives, de conventions expresses entre les souverains, on ne pouvait rechercher de motifs de décision en cette matière que « dans les conventions présumées, dans l’usage le plus ordinaire, dans l’opinion des publicistes, et surtout dans cette raison universelle, principe de toutes les bonnes lois. » C’était beaucoup, et c’était peu. En poussant plus loin son étude, le conseil d’état ne fut pas longtemps à s’apercevoir qu’il se perdait dans le vide. Il s’empressa de recourir à l’expérience de l’un de ses membres, M. le comte d’Hauterive, très versé dans la diplomatie, où il avait passé une grande partie de sa vie, et l’invita à lui communiquer ses vues. De son côté, Napoléon chargeait le procureur-général Merlin de présenter le tableau de la législation et de la jurisprudence de l’Europe sur ce grand sujet. Les diplomates se complaisent dans l’ombre favorable que projette l’incertitude des règles et des décisions. M. d’Hauterive ne pouvait échapper à cette pente de son esprit. Au contraire, la doctrine et la jurisprudence ne conçoivent que les points de droit nettement tranchés, et Merlin était jurisconsulte. Le grand capitaine aimait à tout dominer : chacun resta dans son rôle. Le conseil d’état avait timidement proposé de consacrer le principe de l’inviolabilité des ambassadeurs fondée sur le droit des gens ; mais, revenant