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d’explorer la mer d’Aral. Le pays ne fournissant pas de bois, de petits navires furent construits en Suède, démontés et transportés par eau pièce à pièce de Saint-Pétersbourg à Samara par les rivières et les canaux, puis à dos de chameau de Samara jusqu’aux bords de l’Aral. Le lieutenant Boutakof, devenu plus tard contre-amiral, fit une exploration complète de cette méditerranée peu connue et découvrit que le Yaxartes restait navigable à une grande distance de son embouchure. Il est digne de remarque que ces avant-postes du Turkestan, si restreints qu’ils fussent, coûtaient fort cher au gouvernement impérial, parce que le pays ne produisait à peu près rien et qu’il fallait apporter d’Orenbourg tout ce qu’exigeait le ravitaillement des troupes.

Dès le début de leur établissement au fort d’Aralsk, les Russes s’aperçurent que les Khiviens et les Bokhariotes n’étaient pas les voisins les plus gênans. C’était du Khokand que les Kirghiz avaient le plus sujet de se plaindre. Ce dernier khanat avait éprouvé de singulières vicissitudes. Après avoir été longtemps soumis à celui de Bokhara, il était redevenu indépendant sous le sceptre d’un descendant direct de Baber et de Timour. Les circonstances lui furent alors favorables. Il s’étendit vers le commencement du siècle tout le long du Yaxartes. Tachkend et Chemkend, les deux principales villes de cette région, lui appartenaient ; Ak-Mesdjid était sa forteresse la plus avancée vers le nord. Le voisinage de ce nid de pirates était intolérable ; mais il paraissait assez téméraire de prétendre s’en emparer, car du fort Aralsk à Ak-Mesdjid il y avait un désert de 500 kilomètres à traverser. Cependant le général Perofski, qui était encore à cette époque gouverneur-général d’Orenbourg, se mit en campagne au printemps de 1853 avec 1,700 hommes de troupes. L’un des bateaux à vapeur de la flottille remontait en même temps le fleuve. La place était bien fortifiée ; elle ne fut enlevée d’assaut qu’après un siège de cinq semaines, pendant lequel la garnison se com- porta vaillamment. C’était la première fois que les Russes avaient une affaire sérieuse contre les habitans du Turkestan ; ce fut dans cette première rencontre que la lutte fut la plus vive. Les Russes y eurent plus de morts et de blessés que dans aucun des combats qu’ils soutinrent plus tard contre l’armée entière de Bokhara ; mais enfin ils tenaient Ak-Mesdjid et étaient résolus d’y rester. Les tentatives que firent les Khokandiens pour en reprendre possession n’eurent aucun succès. C’était une perte grave pour eux parce que cette importante forteresse, réputée imprenable, était leur point d’appui le plus solide dans la vallée du Syr-Daria.

Dans le même temps, les Russes menaçaient Khokand du côté de la Sibérie. De Semipolatinsk part une route de caravanes, orientée du nord au sud, qui se dirige vers Kachgar et Yarkand à travers le territoire