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Le général Perofski partit d’Orenbourg le 14 novembre 1839. Quoique le temps fût encore doux, la saison était assurément mal choisie, car le corps expéditionnaire allait traverser les steppes à l’époque des neiges et des grands froids. En effet, dès les derniers jours de novembre, le thermomètre descendait au-dessous de zéro. La contrée était tout à fait dépourvue de combustible. Le peu de bois que les soldats traînaient avec eux était réservé pour la cuisson des alimens ; il n’y avait donc pas de feux de bivac par ces nuits où l’on observait, dit-on, 20 et même 30 degrés de froid. Les hommes s’épuisaient à marcher sur la neige. Les chameaux succombaient à la fatigue. En approchant de l’Emba, le général en chef apprit que les provisions envoyées d’Astrakan n’y étaient pas arrivées. Les navires qui en étaient chargés s’étaient laissé saisir par les glaces. Les uns furent attaqués par les Kirghiz et brûlés avec leurs cargaisons ; d’autres purent décharger au fort Alexandrofsk les vivres qu’ils apportaient. Ainsi Perofski se trouvait à la fin de décembre avec des magasins à moitié vides, des hommes fatigués, un convoi insuffisant. Il se flattait que la neige, au-delà de l’Emba, aurait moins d’épaisseur, que le froid serait moins vif. N’était-ce pas de ce côté que se réfugiaient les nomades quand l’hiver était trop rigoureux dans leurs plaines de campement habituel ? Ces prévisions ne se réalisèrent point. Le froid ne diminuait pas ; alors les conducteurs du convoi s’insurgèrent. Jusqu’alors ils avaient supporté les fatigues et les souffrances du voyage ; mais ils déclarèrent qu’ils n’iraient pas plus loin, que l’on ne voyageait jamais par un temps si rigoureux. Perofski fit fusiller quelques-uns des plus mutins, ce qui calma les autres, et il réussit à continuer sa marche jusqu’à Ak-Boulak, à 160 verstes de la rivière Emba. Après deux mois et demi de route, il était alors à moitié chemin à peine de Khiva. Des 10,400 chameaux avec lesquels il était parti, il n’en restait guère plus de 5,000 ; le reste avait succombé à la fatigue, au froid, aux privations. Si sobre que soit ce patient animal, encore faut-il qu’il ait quelque chose à manger. Fallait-il poursuivre l’expédition ? Le convoi ne pouvait plus porter qu’un mois de vivres ; ce délai ne suffisait pas pour atteindre la vallée de l’Oxus, où l’on se trouverait au surplus en pays ennemi. Le général dut se résoudre à revenir en arrière. Il ne rentra dans Orenbourg que le 8 juin, ayant perdu le quart de son monde dans cette malheureuse campagne.

Malgré l’insuccès de cette expédition, le khan de Khiva comprit qu’il était imprudent de braver un adversaire tel que le tsar. Il eut donc la sagesse de restituer les esclaves russes qu’il possédait et d’interdire à ses sujets tout acte d’hostilité contre la Russie. Cela fait, Perofski lui envoya un ambassadeur, le capitaine Mikiphorof, avec mission de conclure un traité ; cette ambassade ne put aboutir.