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était assez pour arrêter longtemps les Russes. Bien que le commerce par caravanes eût toujours quelque activité, Khiva se refusait à lier des relations diplomatiques avec les Européens. En 1793, sur la demande du khan, le tsar lui envoie un médecin, le docteur Blankenagel ; les Khiviens se refusent à le laisser repartir, et, lorsqu’ils ont épuisé tous les prétextes, ils complotent de le faire assassiner en route, afin qu’il ne puisse rien révéler de ce qu’il a vu. Le docteur eut l’adresse de s’enfuir chez les Turcomans, d’où il put regagner Astrakhan. En 1819, le capitaine Mouravief, après avoir exploré les rives orientales de la Caspienne, se voyant bien accueilli par les Yomoudes, a l’audace de se rendre à Khiva sous l’escorte de ces Turcomans. On l’y retient prisonnier six semaines durant. Dans ce temps, les Khiviens se livraient à toute sorte de rapines. Leur capitale était un marché toujours ouvert où les nomades venaient vendre comme esclaves les pêcheurs russes qu’ils avaient enlevés sur le littoral de la Caspienne, ou les Kirghiz soumis à la Russie qu’ils avaient faits prisonniers. Les caravanes venant de Bokhara étaient frappées d’impôts vexatoires et pillées en cas de refus. Les autorités de la frontière avaient un crédit ouvert pour le rachat des captifs. En une seule année, la dépense dépassa 20,000 roubles pour cet objet.

Sur la fin de l’année 1836, le gouvernement russe, voyant que les tribus lui échappaient grâce à leur mobilité d’allures, craignant d’autre part d’entreprendre sans succès une nouvelle expédition contre le khan de Khiva, véritable instigateur de tous les désordres, le gouvernement russe se résolut à manifester son mécontentement par une mesure purement défensive. Il saisit tous les négocians khiviens qui revenaient par Orenbourg ou par Astrakan de la foire de Nijni-Novgorod, puis il avertit le khan que ceux-ci seraient conservés comme otages jusqu’à ce que de son côté il eût fait mettre en liberté les sujets russes retenus en esclavage. Les conséquences immédiates de cet acte de vigueur montrèrent que Khiva vivait en quelque sorte dans la dépendance commerciale de ses voisins du nord-ouest. Le prix des marchandises européennes s’y éleva outre mesure, tandis que la valeur des productions du pays s’abaissait de moitié. Néanmoins le khan Allah-Kouli ne se pressait pas de satisfaire aux réclamations des Russes, espérant toujours s’en tirer par la ruse. Il permit que quelques-uns de ses sujets vinssent protester bruyamment auprès du gouverneur-général d’Orenbourg que les deux états vivraient dorénavant en paix ; mais ces envoyés n’avaient aucun mandat, ne pouvaient engager la parole de leur maître. Lorsqu’il s’aperçut que cela ne réussissait pas, il renvoya 25 prisonniers avec quelques présens. Ces prisonniers étaient des vieillards que l’âge rendait incapables de travailler, et d’ailleurs