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C’est un spectacle curieux en vérité que ces nomades mongols qui, après avoir conquis l’Asie sous Gengis-Khan et maintenu leur situation sous ses successeurs, finissent par s’effacer de l’histoire et accepter la suprématie des peuples qu’ils avaient autrefois subjugués. Les Kirghiz de la Petite-Horde, les plus rapprochés de l’Oural, que le contact d’une nation civilisée arrachait peu à peu à la barbarie, conservaient une grande influence dans la steppe. Vingt-cinq ans après la malheureuse expédition de Bekovitch, il advint que Nadir-Shah, souverain de la Perse, s’étant emparé de Khiva, détrôna la famille régnante. Comme ce conquérant aimait à se concilier les Russes, il consentit volontiers à laisser le pouvoir à Nour-Ali, sultan de la Petite-Horde, qui s’avouait lui-même sujet du tsar. Ceci est un fait important, car les Russes partent de là pour prétendre que Khiva leur appartient comme ayant été depuis un siècle l’apanage d’un de leurs vassaux. La vérité est que, postérieurement à Nour-Ali, les Khiviens eurent un khan d’une autre famille qui soumit au contraire les Kirghiz, ou qui du moins disputa avec succès aux Russes la domination sur les tribus les plus rapprochées de son territoire.

Repoussés des bords de la Caspienne par les Turcomans et du bassin de l’Aral par les Kirghiz rebelles, les Russes ne firent pas de progrès sensibles jusqu’à nos jours. La Sibérie, qu’ils transformèrent en colonie pénale, ne se colonisait pas ; malgré les 10,000 déportés que l’on envoyait par force au-delà de l’Oural chaque année, le pays restait inculte, sans commerce, sans industrie. Le gouvernement même semblait ne pouvoir trouver des administrateurs habiles et intègres pour cet immense territoire. Là où le sol plus fertile aurait attiré les émigrans, ceux-ci, ne pouvant obtenir aucune protection contre les nomades, se retiraient ou bien menaient une vie de rapine. La province d’Orenbourg, — au commencement du XIXe siècle, la province de l’empire la plus rapprochée de l’Asie intérieure, — contenait les élémens de population les plus divers et offrait l’image du plus complet désordre. On y trouvait des Baskirs, des Kalmouks, des Cosaques, des Kirghiz, toutes les variétés de la race turco-mongole en un mot, quelques-uns chrétiens, la plupart mahométans, d’autres encore simplement idolâtres. De temps à autre, des révoltes éclataient au milieu de ces nomades, qui trouvaient un appui auprès des khans de Khiva et de Bokhara. Le gouverneur-général d’Orenbourg envoyait alors des colonnes mobiles qui avaient peine à joindre les insurgés et souffraient plus du climat que du feu de l’ennemi.

La steppe peuplée de tribus indociles, et au-delà de la steppe les habitans fanatiques du Kharizm, obéissant, comme leurs frères de la Bokharie, aux doctrines musulmanes les plus farouches, c’en