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(sables noirs), au nord de ce dernier fleuve. Entre le Kharizm, la Caspienne et les frontières de la Perse, la steppe présente encore la même apparence. Il n’y a là ni alimens, ni fourrage, ni combustible. La température est glaciale en hiver, brûlante en été. Pendant la saison froide, le vent soulève la neige en tourbillons sous lesquels tout est enseveli. On rapporte par exemple qu’en 1827 les Kirghiz de la Horde du milieu perdirent dans un ouragan plus d’un million de moutons.

La steppe est en effet habitée malgré l’inclémence de son climat et la stérilité de son sol. Au sud de Khiva sont les Turcomans, au nord les Kirghiz ; plus à l’est, au cœur du désert de Gobi, vivent des tribus mongoles ; à l’extrémité du continent, dans les espaces peu connus qui séparent le fleuve Amour de la muraille de la Chine, subsistent des Mandchous. Toutes ces peuplades, Turcomans, Kirghiz, Mongols, Mandchous, sont les diverses variétés de la race tartare. Tous sont nomades ; le pays ne permet pas d’autre existence. Cependant au temps de leur splendeur les Mongols eurent, dit-on, une capitale du nom de Karakorum. Ce fut là que trônèrent Gengis-Khan et ses fils. Les voyageurs modernes n’ont pas été capables d’en retrouver les ruines, si légères étaient les constructions de cette ville abandonnée. Ne s’étonnera-t-on pas que de ces régions inhospitalières soient sorties les invasions successives qui, bien qu’éphémères, ont bouleversé l’Asie et plus d’une fois ensanglanté l’Europe ? Remarquons au moins que ces hordes envahissantes ont toujours subi l’ascendant des peuples qu’ils avaient conquis sans jamais rapporter la civilisation dans le pays d’où ils étaient issus. Khiva, Bokhara, Kachgar, Pékin, n’ont cessé d’être des merveilles de la vie civilisée en comparaison des plateaux stériles d’où venaient leurs conquérans.

Sous Pierre le Grand, les Russes étaient maîtres de la Sibérie, ce qui ne les avançait guère. Ils allaient jusqu’à la Caspienne et au pied du Caucase ; quelques tribus kirghises des environs d’Orenbourg reconnaissaient leur suprématie. En somme, ils étaient en mesure déjà d’exercer une certaine influence dans l’Asie centrale. À cette époque, Khiva guerroyait sans cesse contre Bokhara. Vers l’an 1700, les Khiviens envoyèrent une ambassade à Saint-Pétersbourg, chargée d’offrir au tsar l’hommage du khan Mohamed, disent les historiens russes, et de réclamer l’appui des troupes européennes contre leurs ennemis de Bokhara, ou peut-être simplement, comme le racontent les historiens indigènes, pour conclure un traité de commerce. Pierre le Grand comprit que la possession de Khiva lui assurerait la prépondérance sur beaucoup d’autres états ; il rêvait même, paraît-il, d’ouvrir à ses sujets dans cette direction