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les confins des territoires occupés par ces tribus errantes, quelques grandes cités, Kief, Kazan, Novgorod surtout, reliées par le commerce aux villes hanséatiques du nord, servaient de refuge à la civilisation naissante. La conquête de Constantinople par les Ottomans rejeta de ce côté de nombreux émigrans qu’y attirait d’ailleurs la communauté de religion. Vers l’an 1550, le tsar russe est déjà un souverain indépendant ; Astrakan lui appartient. Il a dans son armée un corps nombreux de cosaques. Mongols d’origine, dont il se sert d’abord contre ses voisins, et qu’il lance ensuite à la conquête de la Sibérie. C’est, à vrai dire, le moment où la Russie devient puissance européenne, de puissance asiatique qu’elle était d’abord. Dans les provinces reculées du Volga et de l’Oural, dont le reste de l’Europe ne s’occupe pas, la population slave l’emporte décidément sur les Turcs et les Mongols. Quel changement depuis l’époque où les généraux de Timour (deux siècles auparavant) entraient en vainqueurs dans Moscou et réduisaient cette ville en cendres !

Ces événemens du moyen âge sont le prélude des conquêtes modernes de la Russie sur les bords de l’Oxus et du Yaxartes, et c’est par là que les Russes se distinguent des autres peuples européens qui ont pris pied sur le continent de l’Asie. Les colonies françaises, anglaises et portugaises dans l’Inde sont au début l’entreprise de quelques négocians aventureux ; Hongkong et Saigon sont des créations modernes faites de propos délibéré dans un intérêt politique et commercial, tandis que l’entrée des troupes du tsar à Samarcande est l’acte le plus récent d’une lutte de races qui se poursuit depuis des siècles sans interruption.

Pour bien apprécier les obstacles auxquels se heurtaient les Russes dans leur marche progressive vers les contrées de l’Orient, il est nécessaire de rappeler quelle est la nature du sol et du climat. De la Caspienne au Pacifique, entre les 35e et 50e degrés de latitude, il existe de vastes déserts dont quelques cours d’eau et plusieurs chaînes de montagnes peu élevées rompent la monotonie de distance en distance. Pour le voyageur qui vient de la Russie, la steppe commence presque aux portes d’Orenbourg ; mais jusqu’à la rivière Emba le désert n’a rien de redoutable. On trouve encore des rivières et des lacs dont l’eau est douce ; sur les bords, il y a des prairies, parfois on aperçoit des arbres. À mesure que l’on avance vers le sud, le sol devient plus stérile, l’eau des ruisseaux est saumâtre aussi bien que celle des puits. Çà et là s’offrent d’anciens lacs desséchés dont une épaisse couche de sel révèle l’emplacement. La végétation disparaît ; les collines de sable changent de forme au gré des vents. Rien ne surpasse la désolation de ces immenses plaines nues et arides, l’Oust-Ourt, entre la Caspienne et l’Aral, — le Kizil-Koum (sables rouges), entre l’Oxus et le Yaxartes, — le Kara-Koum