Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

navigation à voiles, la navigation mixte et la navigation à vapeur ; chacune a ses itinéraires distincts. La navigation à vapeur va tout droit. Rien ne l’arrête, rien ne la suspend, rien ne la ralentit. Elle possède la force ; elle s’en sert. À quel prix ? Maint naufrage est là pour le dire. De toutes les navigations, la plus périlleuse est à coup sûr cette navigation puissante qui ne connaît plus de frein, qui traverse les lames qu’elle ne peut franchir, court bride abattue au milieu des brumes et se donne à peine le temps de voir les rochers qu’elle dépasse. Les procédés qui suffisaient aux pilotes de Dieppe ne conduiraient pas au port ce cheval échappé.

Depuis le jour où Colomb découvrit que sa calamité ne marquait plus exactement le nord, la déclinaison de l’aiguille aimantée a tenu une grande place dans les préoccupations du marin. Les Portugais constatèrent avec satisfaction, en doublant le cap de Bonne-Espérance, que l’aiguille et l’étoile polaire avaient retrouvé leur accord. Le cap des Aiguilles, — c’est ainsi qu’ils appelèrent la pointe où avait été observée l’absence de déclinaison, — ne mériterait plus aujourd’hui ce nom, puisque le méridien céleste et le méridien magnétique y présentent un écart de 30 degrés, car tel est le caractère de ce phénomène que, soumis à des lois, il n’obéit qu’à des lois instables. Les cartes ont pris soin de marquer les courbes d’égale déclinaison. Ce fut au temps surtout où l’on espérait déterminer ainsi la longitude ; mais ces courbes se déplacent, le tracé s’en altère. Pour connaître la déclinaison de la boussole avec la précision qu’exigent les conditions de la navigation nouvelle, il n’y a pas de courbes à consulter ; il faut observer soi-même, il faut observer le soleil, principalement à son lever et à son coucher, ou la direction de l’étoile polaire. L’aiguille ne cède pas seulement aux attractions générales du globe ; elle est également sollicitée par les attractions locales qui se manifestent de nos jours avec d’autant plus d’énergie que le fer se trouve en masses énormes à bord de nos navires. À la déclinaison, — donnons-lui le nom sous lequel les marins la désignent, — à « la variation » vient se joindre une autre cause perturbatrice, « la déviation. » Chaque navire a son méridien magnétique, et, ce qui serait fait pour décourager des gens qui n’auraient pas pour premier devoir la patience, — ce méridien s’incline tantôt vers l’est, tantôt vers l’ouest, suivant le cap où gouverne le navire. Avant de quitter la rade, on a soin d’étudier, de constater toutes ces perturbations. On en dresse des tables qui servent à corriger la route. Hélas ! ces tables ne sont exactes que pour une certaine latitude. Changez de parages, vous changez de déviation. Revenez donc, après un long oubli, à l’étoile polaire ! Consultez-la souvent ; demandez-lui sans cesse si vous pouvez encore vous fier à la boussole. Il n’y a que