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en partant de San-Thomè, « ils perdaient la vue de leur pôle arctique. » Comment naviguer sous des cieux nouveaux dont les constellations ne figuraient pas dans l’almanach de Regiomontanus ? Ce ne fut qu’en 1484 que Diogo Cam et Joam Affonso d’Aveyro s’aventurèrent au sud de l’équateur et dépassèrent l’embouchure du Zaïre. En 1486, Barthélémy Diaz et Joam Infante allèrent plus loin encore. Ils atteignirent le cap derrière lequel s’épanouissait le grand Océan indien. En une seule campagne, ces deux navigateurs avaient reconnu 350 lieues de côtes ; pour en gagner pied à pied 1,400, on avait employé plus des deux tiers d’un siècle. Diaz avait cru devoir nommer l’extrémité du continent africain le cap des Tourmentes. Le roi Jean à plus juste titre l’appela le cap de Bonne-Espérance. Les colères de l’Océan austral ne pouvaient rien avoir en effet de bien effrayant pour des marins habitués dès l’enfance à braver celles de l’Atlantique. Les calmes prolongés de la ligne ont souvent mis à plus forte épreuve le courage de ces intrépides navigateurs.

Les dernières années du règne de Jean II furent occupées par la guerre, que le Portugal n’avait pas cessé depuis l’année 1415 de soutenir contre le Maroc. Le 12 juillet 1491, l’infant dom Affonso se tua en tombant de cheval. Depuis cette époque, une sorte de lassitude morale semble s’être emparée de l’esprit du monarque qui avait poursuivi jusqu’alors avec tant d’énergie les glorieuses traditions de la dynastie d’Aviz. L’armement de la flotte de l’Inde demeurait indéfiniment ajourné. Tout à coup le bruit se répand que des bâtimens venant des mers lointaines qui baignent les côtes du Cathay et celles de l’île de Zipangri sont entrés dans le Tage. Ce n’est pas seulement de l’or qu’ils rapportent en témoignage du point qu’ils ont touché ; des branches de palmier que la traversée de retour n’a pas eu le temps de flétrir, des oiseaux tels qu’au dire des poètes en peuvent seuls produire les pays où naît l’aurore, des passagers qu’à leur peau cuivrée, à leur face aplatie, Marco-Polo n’eût pas hésité à reconnaître pour des sujets de Khoubilaï-Khan, voilà les gages qui disent plus sûrement encore d’où arrivent les navires ancrés devant Lisbonne. Les Portugais ont été devancés dans les Indes ! et par qui l’ont-ils été ? Par des bâtimens espagnols ! Un certain Christophe Colomb, un Ligurien engagé au service de la reine Isabelle, a trouvé, quand ils le cherchaient encore, le chemin des antipodes. « Il a suivi le soleil vers son couchant jusqu’à plus de 5,000 milles de Gadès ; il a vogué pendant trente-trois jours de suite sans apercevoir autre chose que le ciel et l’eau. Ce qui était caché depuis l’origine des choses commence enfin à se révéler. »

Il fut, dit-on, question à Santarem d’arrêter cet aventurier qui, par la plus inattendue des fortunes, menaçait de ravir au Portugal