Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tristan Vaz essayèrent de franchir cette pointe basse de roche que venaient heurter si violemment la houle et les courans contrariés de l’Atlantique. Comme leurs prédécesseurs, Gonçalvez Zarco et Tristan Vaz perdirent courage ; comme eux, ils rétrogradèrent, — par bonheur, pour revenir à Lisbonne, ils ne prirent pas la même route. Il était dur de remonter la côte en refoulant constamment un courant contraire. Les Portugais se laissèrent aller à prolonger leur bordée au large. La tempête les saisit et les jeta en quelques jours à près de 120 lieues de la côte d’Afrique. Ils virent tout à coup se dresser devant eux un sommet élevé, dominant d’environ 1,600 pieds le niveau de la mer. Ils se dirigèrent vers cette terre inconnue, y abordèrent et lui donnèrent le nom de Porto-Santo. Quelques jours plus tard, le 2 juillet 1419, ils découvraient une île plus considérable encore ; c’était l’île de Madère, qui devint bientôt le siège d’une colonie.

Douze années s’écoulent ; ce n’est plus à 120 lieues des côtes d’Afrique, c’est à 250, à 300 lieues du cap Saint-Vincent que nous rencontrons les Portugais. Gonzalo Velho Cabral a découvert les premières vedettes des Açores. D’étape en étape, les Portugais parviennent jusqu’à l’extrémité occidentale de l’archipel, jusqu’à Corvo et jusqu’à Florès. Après Florès, il n’y a plus d’îles. Ceux qui voudraient en chercher plus avant feraient comme Sébastien Cabot en 1497, ils iraient butter aux rives d’un continent.

Remarquez à cette occasion le progrès soudain qui se manifeste dans l’art de naviguer. Jusqu’alors on s’était borné à se glisser le long de la côte, redoutant comme le plus grand péril de la perdre de vue. Si l’on s’était parfois trouvé en pleine Atlantique, loin de tout rivage, c’est qu’on y avait été emporté par la tourmente. Pareille fortune a pu conduire une barque anglaise à Madère dès l’année 1337, et quatre siècles plus tôt deux chefs scandinaves en Amérique. Je ne vois pas là matière à s’étonner. La tempête n’entraîne-t-elle pas journellement des bateaux japonais sur la côte de Luçon ? N’en a-t-elle pas poussé jusqu’au Kamtchatka ? Et comment se seraient peuplées les Sandwich, les îles de la Polynésie, la Nouvelle-Zélande, si les vents ne s’étaient chargés d’y porter la semence humaine ? Toutes ces rencontres fortuites d’îles ou de continens ne sauraient prendre place dans l’histoire de la navigation. Ce qui constitue un progrès, ce qui doit être tenu pour une conquête, c’est la terre nouvelle trouvée par des gens qui sauront en revenir, et qui auront le moyen d’y retourner.

En 1433, l’ambition avouée des Portugais était déjà d’arriver jusqu’aux Indes. Ils voulaient, pour s’y rendre, contourner la pointe méridionale de l’Afrique ; avant tout, il fallait réussir à doubler le cap Bojador. Le prince Henri s’adresse à son écuyer, Gil Eannez.