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1875. Cela ne suffisait pas encore cependant ; il restait à couvrir une somme de 25 millions, et la commission du budget proposait courageusement pour 1875 un décime sur le principal des trois contributions directes. Le rapporteur, M. Léon Say, a soutenu avec autant de bon sens que de lucidité cette aggravation nécessaire. L’assemblée a résisté, et ici il est bien clair que les préoccupations électorales, dissimulées sous des prétextes spécieux, ont joué un rôle dans le rejet de l’impôt nouveau. Beaucoup de députés n’ont pas voulu rentrer dans leurs départemens en venant de voter le décime sur la propriété. Chercher une autre ressource à cette extrémité de la session, ce n’était plus possible, de sorte qu’on a été réduit à laisser dans le budget une page blanche avec cette terrible inscription : « impôts à voter ! »

Ainsi l’assemblée n’a pas été plus heureuse dans les questions administratives et financières que dans les questions politiques. Non-seulement elle n’a pas voté les lois constitutionnelles qu’elle avait promises, que M. le président de la république lui demandait, elle a laissé bien des affaires en suspens, nos budgets en déficit, et elle n’a pas vu qu’en se précipitant en quelque sorte dans le repos des vacances elle avait l’air d’abdiquer devant une tâche qu’elle ne pouvait plus accomplir, qui l’accablait. Elle n’a pas vu qu’elle paraissait n’échapper à une dissolution définitive que par une dissolution temporaire qui la tirait momentanément d’embarras. L’esprit de parti, en l’envahissant de plus en plus, en la dominant, lui a fait cette impuissance qui a particulièrement éclaté dans cette fin de session— Le gouvernement lui-même a-t-il fait ce qu’il pouvait, ce qu’il devait, pour maintenir sa position, son autorité, au milieu de ces confusions de partis et de ces défaillances parlementaires ? 11 a été retenu, dit-on, par des scrupules, par des considérations de délicatesse politique. Il a voulu ménager jusque dans ses faiblesses le parti qui l’a créé, avec lequel il ne peut se décider à rompre. Il lui a fait la concession de se prononcer d’abord contre la proposition Casimir Perler, puis de consentir à l’ajournement des lois constitutionnelles, dans l’espoir de le trouver à la session d’hiver plus facile, plus porté aux transactions. C’est possible, seulement il s’exposait à se diminuer en se jetant dans un camp, en divulguant trop le secret de ses préférences, de ses ménagemens pour un parti qui est le plus acharné à lui disputer les moyens de s’organiser. Il s’est affaibli lui-même en ayant l’air de s’effacer, de reculer devant le rôle de direction, d’impulsion que les circonstances lui offraient. Évidemment il aurait pu exercer une initiative efficace, salutaire. Il semblait le comprendre un instant, lorsqu’il y a plus d’un mois il publiait ce message qui allait frapper et gagner le pays par son allure décidée, par son énergique et franche précision.

Qu’avait-il à faire désormais ? Il n’avait qu’à se présenter devant la chambre avec une certaine intrépidité, à maintenir la pensée du mes-