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la pâte livrée au commerce en renferme environ 10 pour 100.

Il existe maintenant une fabrique d’alizarine artificielle en France, une en Angleterre, et une douzaine en Allemagne et en Suisse. On se fera une idée de l’importance qu’a déjà prise cette industrie en apprenant que l’année dernière il a été fabriqué plus de 1,000 tonnes de pâte à 10 pour 100, représentant une valeur de plus de 12 millions de francs. On avait d’abord mis en doute que les teintures obtenues avec ce produit fussent aussi bonnes que celles qui sont opérées avec l’alizarine naturelle ; mais des expériences faites par les hommes les plus compétens en ces matières ont prouvé que l’alizarine artificielle ne le cède en rien à celle que l’on extrait de la garance. Le prix de ce produit, qui était d’abord un peu plus élevé que celui de l’alizarine naturelle, s’est vite abaissé, et déjà la différence a disparu. Le succès de l’alizarine artificielle est donc désormais assuré. Quelles en seront les suites pour la culture de la garance ?

La Société des agriculteurs d’Avignon, justement alarmée, a demandé à la célèbre Société industrielle de Mulhouse ce qu’on avait à craindre de l’alizarine du goudron. La réponse fut que, pour supporter la concurrence, il fallait améliorer le produit naturel, accroître le rendement de la garance et fabriquer de bons extraits, mais que dès à présent il était impossible de chasser du marché la rivale qui venait de s’y implanter. La découverte de l’alizarine artificielle a désagréablement surpris nos cultivateurs du midi, elle les a réveillés de leur sommeil. Ils n’ont pas compris l’avertissement que leur donnaient les couleurs d’aniline, et ont continué à suivre leur vieille routine. Le cultivateur vend les alizaris à la livre, il s’évertue à augmenter le poids de sa récolte, c’est-à-dire le bois de la racine ; le teinturier au contraire refuse tout ce qui est ligneux. C’est ainsi que cette industrie séculaire est restée tout à fait arriérée. Les terrains ont été surmenés, les graines sont abâtardies ; point de sélection, point d’expériences sur les engrais ; on s’est endormi dans une fausse sécurité, sur la foi d’un monopole trompeur. Au lieu d’obtenir des racines contenant l’alizarine dans la proportion de 1 pour 100, ne serait-il possible d’arriver à un rendement de 3 ou 4 pour 100 par un perfectionnement rationnel de la culture ? L’alizarine alors, au lieu de valoir 50 francs le kilogramme, pourrait se vendre 15 ou 20 francs, et elle aurait quelque chance de reprendre le dessus. En tout cas, s’il faut admettre comme possible l’éventualité de la suppression complète des couleurs de garance naturelles, il en résulterait tout d’abord que des milliers d’hectares seraient mis en liberté et rendus à la vigne ou à d’autres cultures qui pourraient même donner plus de bénéfices que la garance, qu’on est obligé de laisser au moins deux ans en terre. Au reste, le