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de soufre natif, et la Sicile ne pourra soutenir cette concurrence qu’en abaissant le prix de revient de ce produit. Enfin la découverte de Leblanc n’est peut-être pas le dernier mot de la science, car le procédé fondé sur l’emploi de l’ammoniaque, qu’un fabricant belge, M. Solvay, applique avec succès depuis quelques années, est théoriquement supérieur au premier, et, si l’on parvenait à vaincre les dernières difficultés pratiques, il pourrait amener une nouvelle révolution dans l’industrie chimique. C’est là une éventualité qui s’est présentée à l’esprit de tous les chimistes qui ont visité l’année dernière l’exposition universelle de Vienne.

La quantité de sucre que l’Europe consomme annuellement dépasse aujourd’hui 2 milliards de kilogrammes ; les colonies produisent environ 1,900 millions de kilogrammes de sucre de canne, dont les deux tiers (1,300 millions) sont importés en Europe, et les fabriques de sucre indigène livrent au commerce plus de 900 millions de kilogrammes par an. L’extraction du sucre de betterave, qui ne date que du commencement de ce siècle et dont l’origine remonte aux expériences du chimiste Achard, marche désormais de pair avec l’importation du sucre colonial, et elle eût bouleversé le système de culture des Antilles, si l’impôt n’était venu rétablir l’équilibre entre la production européenne et celle des pays d’outremer.

L’exposition universelle de Londres en 1862 a mis en lumière d’autres faits du même ordre. C’est là qu’on vit figurer pour la première fois les belles couleurs rouges, bleues et violettes obtenues avec des matières extraites du goudron de houille. Malgré le prix exorbitant auquel se vendaient d’abord les couleurs d’aniline, le commerce de la cochenille en fut immédiatement ébranlé ; de 14 fr., le prix du kilogramme descendit à 8 francs, et le Guatemala, dont la cochenille est le produit principal, se vit menacé de la perte de cette source de revenu.

L’apparition des couleurs d’aniline fait époque dans l’histoire de la teinture ; elle marque la transition définitive des substances végétales ou animales à une seule matière fossile, devenue tout à coup la source principale des couleurs dont l’industrie décore ses produits. De temps immémorial, on était accoutumé à considérer les plantes et les insectes comme les plus riches entrepôts naturels de matières tinctoriales, élaborées dans leur sein par le mystérieux travail de la vie ; des cultures spéciales fournissaient au teinturier sa matière première : cochenille, kermès, bois, écorces et racines colorantes, fleurs, feuilles, graines et résines, auxquelles s’ajoutait un petit nombre de substances empruntées au règne minéral. Peu à peu, depuis le commencement du siècle, s’est accentuée, avec les progrès