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et dans ceux-ci les nobles et les villes formaient deux corps indépendans ayant chacun sa voix. Une petite minorité, mue par des vues intéressées ou mal inspirées, pouvait donc tout entraver. Ainsi en 1609, lors de la trêve à conclure avec l’Espagne sous les auspices de la France, la Zélande s’y opposa avec la dernière opiniâtreté, et ne céda que lorsqu’elle vil qu’elle aurait seule à continuer la guerre. La Zélande et Utrecht refusèrent également d’adhérer au traité de Munster, parce que, disaient leurs députés, l’Espagne s’efforcerait de reconquérir ses anciennes provinces dès que l’armée serait mise sur le pied de paix. La Gueldre et la Zélande s’opposèrent à la conclusion du traité de paix avec le Portugal en 1661, parce qu’on lui restituait le Brésil. Dans ces cas extrêmes, on passait outre, et le fait accompli l’emportait. Parfois, quand il fallait prendre une résolution d’urgence, les députés agissaient sous leur propre responsabilité, et, comme le remarque le chevalier Temple, en exposant leur tête[1]. C’est ainsi que fut conclue la paix avec Cromwell en 1654 et l’alliance avec l’Angleterre en 1668. L’expédition de Guillaume III en Angleterre en l’année 1688 fut décidée de la même façon. Quand une province faisait de l’opposition, on s’efforçait de la vaincre en lui communiquant des représentations par écrit ou en lui envoyant des députations spéciales ; en un mot, on mettait en œuvre tous les moyens d’influence imaginables. En 1650, les états de Hollande avaient décidé de réduire la force de leurs milices. Les états-généraux leur envoyèrent une députation à la tête de laquelle se plaça le prince d’Orange Guillaume II. Il s’agissait de faire revenir de leur résolution non les états provinciaux seulement, mais les villes dont les états suivaient les instructions. Le stathouder fut reçu très froidement, et même Amsterdam refusa de lui ouvrir ses portes. Un historien, Rendorp, compte qu’il fallait obtenir l’adhésion de douze cents personnes pour qu’une résolution fût valablement prise.

Larochefoucauld, dans son Voyage en Hollande, caractérise parfaitement l’esprit d’indépendance locale qui animait alors les Néerlandais. « Chaque ville, dit-il, consulte ses intérêts particuliers plutôt que ceux de la totalité, élève dans ce sentiment les citoyens et leur donne dès leur enfance un caractère de politique étudié qu’ils emploient ensuite dans leurs négociations avec les ministres étrangers. » Cette remarque est profonde : elle fait bien comprendre l’influence des institutions démocratiques. Sans doute l’administration des Pays-Bas était extrêmement imparfaite : multipliant les

  1. Voyez son curieux livre, Remarques sur l’état des Provinces-Unies, où il dépeint la situation des Pays-Bas avec toute la perspicacité d’un homme d’état. Temple lui-même, envoyé d’Angleterre, avait déterminé la conclusion du traité de la triple alliance.