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les états-généraux siègent presque chaque année. Le souverain, pour obtenir les subsides qu’exigeait la guerre, préférait s’adresser à un corps qui représentait le pays tout entier plutôt qu’à chaque province en particulier. De 1465 à 1634, ils furent convoqués environ quatre-vingts fois. Un véritable régime constitutionnel s’implantait ainsi dans les Pays-Bas, et si Philippe II avait respecté les privilèges du pays, ou si pour dompter de légitimes résistances il n’avait pas disposé des forces de l’Espagne et d’une partie de l’Italie, ce magnifique état aurait été plus tôt libre et plus puissant que l’Angleterre.

Quand les provinces du nord, affranchies du joug espagnol, se fédérèrent dans l’union d’Utrecht, elles ne songèrent pas à se donner des institutions nouvelles. Elles maintinrent seulement leurs anciennes libertés. Les Néerlandais, comme les Anglais dans toutes leurs révolutions, invoquaient non le droit naturel, mais le droit historique; ce n’est pas à la raison, c’est à l’histoire qu’ils demandaient les titres de leur indépendance. Les états-généraux, dans un document solennel adressé au délégué de la reine Elisabeth, le comte de Leicester, affirment que leurs libertés remontent à Charlemagne, et que depuis huit cents ans les princes du pays n’avaient exercé qu’un pouvoir émané de la nation, laquelle était le vrai souverain. Quoi qu’en dise Motley, qui se moque de ces prétentions excessives, les états avaient raison. Dès l’origine, les Bataves étaient un peuple libre, et ce n’est que par des usurpations successives que les comtes avaient étendu leur autorité[1], C’est une force énorme pour un pays de n’avoir pas à rompre brusquement avec le passé et de retrouver les droits d’un peuple libre dans des précédens connus de tous. Telle a été la bonne fortune de l’Angleterre et de la Néerlande. Les Anglais et les Hollandais n’ont eu qu’à défendre contre les usurpations tyranniques de leurs rois leurs privilèges héréditaires, et puis à les modifier insensiblement suivant les besoins du temps. En France au contraire, la royauté avait tellement anéanti toutes les traces de la liberté primitive que, quand les Français ont voulu arriver à se gouverner eux-mêmes, ils n’ont rien pu emprunter au passé, qu’ils détestaient comme un temps de servitude et d’abaissement, et ils ont cherché dans la conception abstraite des

  1. Le premier comte, dit Motley (the United Netherlands, chap XV), est Dirk, à qui Charles le Simple concéda la Hollande en 922, et la première cité qui ait reçu des privilèges de commune est Middelbourg en Zélande, à qui le comte Guillaume Ier de Hollande accorda une charte en 1217. Motley ne semble s’occuper que de la période du moyen âge où les villes conquéraient leurs privilèges sur la féodalité; mais longtemps avant cette époque les tribus germaniques qui habitaient la Néerlande avaient joui de cette liberté pleine et entière que décrit si bien Tacite. C’est cette liberté que revendiquaient avec raison les états-généraux contre Leicester et son conseiller Thomas Wilkes.