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des folies romantiques ; tous ces peintres ont suivi docilement le mouvement de leur époque, même quand ils ont essayé de l’excentricité, moyen qui n’a réussi qu’à rendre plus sensible l’absence d’originalité et le délit d’imitation. Tel est le cas de je ne sais quel rêve saugrenu peint à la seconde période de l’effervescence romantique, c’est-à-dire entre 1830 et 1840, par un jeune artiste qui a fait son possible pour être bien fou, et qui n’a réussi qu’à produire une œuvre qui nous donne une impression analogue à ces estampes placées naguère par l’éditeur Renduel en tête de ses publications. Cependant parmi ces peintres, il en est un dont nous avons fait la connaissance avec plaisir, et qui méritait mieux que la célébrité exclusivement lyonnaise dont ses œuvres sont entourées, Claude Bonnefond, mort directeur de l’École des Beaux-Arts de Lyon il y a quelques années.

Ce n’est pas que le talent de peintre proprement dit soit bien fort chez lui ; aussi les visiteurs pressés ou qui ont l’habitude de voir rapidement pourraient-ils aisément passer à côté de ses œuvres sans les remarquer ou les confondre sans plus de souci avec leurs voisines; mais ceux qui aiment à s’instruire moins à la hâte remarqueront en lui une réelle faculté d’observation, une sensibilité toujours vraie, une finesse d’expression souvent exquise. À ces qualités, vous reconnaissez celles qui doivent plus particulièrement appartenir au peintre de genre; c’est en effet à cette catégorie d’artistes que se rattache Claude Bonnefond. Il a pris d’ordinaire ses sujets dans les scènes familières de l’Italie, comme il était de mode parmi les artistes de son temps, mais ces scènes il les a vues par ses propres yeux et senties par son propre cœur. Aussi, bien que le coloris de ces toiles ait déjà pâli, que le ton général s’en soit refroidi, le charme en reste vrai et l’intérêt en survit. Quelle délicatesse de nuances dans le tableau où il représente certaine cérémonie de l’eau sainte dans l’église des catholiques grecs à Rome ! C’est d’une unité de sentiment et d’une variété d’expressions tout à fait remarquable. La même foi fervente anime tous ces personnages; mais cette foi a été nuancée selon l’âge, le sexe ou les rapports divers des personnages entre eux avec une rare subtilité. Un vieux paysan atteint de cécité, soutenu par ses enfans, s’avance vers le prêtre pour se faire toucher par l’eau sainte; un sourire de confiance illumine son visage, une émotion de bonheur anime tout son être, l’impulsion d’une joie pieuse pousse en avant son corps paralytique. La foi de ce vieillard est aveugle comme ses yeux, empressée comme l’égoïsme de l’âge, celle de ses enfans est respectueuse et attendrie, elle désire, elle attend, elle espère. A côté un jeune pâtre, que la cérémonie touche moins directement, regarde debout cette scène avec un recueillement sérieux et une attention