Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette impersonnalité à laquelle l’obligeait la condition de faire partie d’un tout. »

Parmi les œuvres nombreuses dont M. Bonnassieux a embelli Lyon, j’ai choisi de préférence la fontaine de la place Saint-Jean et l’horloge du palais de la Bourse, parce qu’elles sont celles qui, tout en donnant l’impression la plus nouvelle, se prêtent le mieux à la traduction par la plume. Rien de plus facile à décrire en effet que la composition de cette dernière œuvre. Le sujet, nécessairement allégorique, n’est autre que l’image, vieille comme le monde, du temps à la fuite rapide, mais cette image, M. Bonnassieux a su la rajeunir de manière à en tirer tout un petit drame. L’allégorie se compose de trois personnages représentant les trois divisions de la durée sous leur forme la plus ramassée pour ainsi dire, et dans leur succession la plus contiguë, l’Heure passée, l’Heure présente, l’Heure à venir. La disposition de ces trois personnages est d’une simplicité en même temps que d’une habileté admirables : telle est la manière dont ils sont groupés qu’ils semblent tourner autour de l’horloge comme s’ils étaient emportés par le mouvement d’une roue à laquelle ils seraient fixés, imitant ainsi la course du temps autour de l’immobile éternité, ou plus simplement la succession des heures qu’ils figurent sur la circonférence du cadran. Il y a véritablement une sorte de vie tournoyante dans le mouvement dont ces figures sont emportées, tant il est vif et naturel, et tant on y retrouve bien cette double sensation d’angoisse et de bien-être que nous éprouvons lorsque par un moyen quelconque nous sommes tour à tour plongés dans la profondeur et ramenés vers la hauteur de l’espace. L’Heure présente se tient debout au sommet du cadran, ferme comme si elle avait pour elle l’éternité, excellente image de l’emploi que nous faisons de chacun de nos instans et de l’aveugle illusion à laquelle nous obéissons. Dure et à courte vue comme l’égoïsme, elle conspire contre elle-même, car la voici qui d’un côté tend une main amie à l’Heure qui va la supplanter, et qui de l’autre laisse tomber dans l’abime l’Heure qu’elle-même a remplacée. Rien de plus ingénieusement pathétique; l’Heure qui s’avance monte d’un pas fier et assuré comme celui de l’homme qui marche vers un succès certain; mais quel désespoir dans l’Heure qui va sombrer au sein de l’abîme ! Elle s’accroche crispée à la main de l’Heure présente, qui la lui refuse avec une impitoyable indifférence ; encore une minute, et la pesanteur, dont on sent l’action fatale, va l’entraîner dans le gouffre. Comme nous sommes ici au palais de la Bourse, on peut encore trouver à cette allégorie un sens plus restreint, mais plus en rapport avec la destination du monument, et qui a son pathétique aussi. Voyez-vous, dis-je à la bonne femme qui me faisait visiter le palais, lorsqu’on vous demandera la signification