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lyonnais dans ce siècle-ci. C’est un talent d’une candeur absolue, tellement absolue que, si l’on cherche à bien le caractériser, on se voit obligé d’avoir recours à quelqu’une des épithètes des litanie de cette Vierge que son ciseau pieux a si souvent adorée de son travail fervent comme une prière, vas castitatis, splendor munditiœ. Il faut remonter bien haut dans l’histoire de l’art pour rencontrer quelque chose de semblable, car, si le génie est plus grand dans Ange de Fiésole et Memling, la candeur n’est pas plus lumineuse, et si le sculpteur lyonnais n’est pas leur égal comme artiste, il est leur égal comme âme et pieuse essence. Pourtant ne vous y trompez pas, sous cette candeur s’enveloppent modestement une rare habileté et un savoir profond; je n’en veux d’autre preuve que cette adorable fontaine représentant le baptême de Jésus qu’il a élevée en face de la cathédrale. Comme la beauté propre à l’adolescence a été saintement transformée pour représenter dignement la figure de Jésus! Comme ce corps est jeune et pur! Les chairs en sont plus fraîches que l’eau qui va servir au baptême, plus fermes que les tissus d’un fruit nouvellement formé et encore adhérent à sa branche, la taille en est plus droite et plus flexible que celle d’un roseau, le port en est plus élégant que celui d’un jeune peuplier aux jours du printemps. C’est un Jésus encore innocent, c’est-à-dire encore au seuil du noviciat de la vie, car vivre est une corruption même pour les âmes les plus vertueuses, et si nous ne sommes pas souillés par nos actions, nous le sommes par le spectacle que ne peuvent éviter nos yeux. Ce corps porte avec lui sa date, c’est bien celui qu’on doit supposer à Jésus à l’époque de cette scène de purification initiatrice; mais l’artiste a eu encore, cela est de toute évidence, une sorte de raison théologique pour le faire si jeune, c’est que l’essence propre à Jésus est la pureté, et que la pureté ne peut s’exprimer physiquement que par la jeunesse. Mêmes mérites dans la figure de saint Jean, qui, loin de présenter aucune âpreté, respire au contraire la tendresse et exprime une douce joie d’être l’instrument d’une telle purification. Eh bien! plus on considère ce ravissant ouvrage, plus on s’aperçoit d’une étude aussi heureuse que profonde de cette école florentine que nulle autre école de sculpture n’a dépassée pour la sveltesse des formes et l’élégance des mouvemens. On pense au saint Jean de Donatello, aux figures de la fontaine des tortues, aux jeunes gens que Michel-Ange a assis ou couchés aux angles des fresques de la Sixtine ; ce n’est aucune de ces figures, et cependant il y a là une subtile parenté qui atteste le savoir et l’étude de l’artiste. En outre de ce savoir, il y a chez M. Bonnassieux une véritable puissance, tout aussi modestement cachée, il est vrai, mais qui à l’occasion a su se révéler. Il ne