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Ce n’est pas en vain cependant que nous vivons dans un temps de progrès : aussi Lyon a-t-il voulu prouver qu’il marchait avec le siècle autrement encore que par le club de la rue Grolée et les enterremens civils. Pour être resté en retard, le rajeunissement n’en a été que plus complet, et Lyon a mérité qu’on lui fasse en toute justice l’application de la parabole des ouvriers de la onzième heure, car ceux qui en parlaient naguère comme nous l’avons rapporté plus haut ne le reconnaîtraient certainement plus aujourd’hui. Nous sommes parfois trop disposés à médire de notre époque; elle travaille trop vite, cela n’est que trop vrai, et préfère souvent l’apparence à la réalité; néanmoins il lui sera beaucoup pardonné parce qu’elle a beaucoup travaillé, et de ce fait Lyon est une preuve. En quelques années, une ville entièrement nouvelle a été construite, avec l’accompagnement nécessaire de squares, de places et de parcs qu’exige une cité moderne. Toute la partie principale, celle qui forme comme une île entre la Saône et le Rhône, a été percée de trois rues magnifiques allant de la place Bellecour à la place des Terreaux; de grandes et hautes maisons, presque toutes destinées à servir de magasins, et percées en conséquence d’innombrables fenêtres judicieusement disposées pour laisser passer la lumière à flots, ont remplacé les moroses comptoirs et les sombres boutiques d’autrefois. De nouveaux édifices ont été élevés, qui non-seulement ne jurent pas avec les vieux monumens de Lyon enclavés dans la ville rajeunie, mais peuvent soutenir jusqu’à un certain point la concurrence avec eux : un remarquable palais des Arts, un palais de la Bourse très soigné, très orné, sérieusement beau en dépit de certaine disparate entre ses deux façades. C’est sous l’administration, qui paraît avoir été habile et ferme, de M. Vaïsse, que cette résurrection lyonnaise fut accomplie, et l’on me raconte à cette occasion une anecdote assez piquante. Un journaliste ingénieux, passant en revue les divers moyens par lesquels les Lyonnais pourraient prouver leur reconnaissance à leur préfet, proposa d’élever deux statues sur la plus belle de leurs places, d’un côté celle de M. Vaïsse, et de l’autre celle de Munatius Plancus. C’était décerner au préfet le titre de second fondateur de Lyon; la flatterie était d’un assez fort calibre, — eh bien ! lorsqu’on parcourt le nouveau Lyon, on est presque tenté de ne pas la trouver énorme.

La plupart de ces belles maisons de construction récente sont très richement ornées selon la tradition lyonnaise, car il y a une tradition lyonnaise en cette matière qui diffère beaucoup de celles de nos autres provinces. Il ne faut pas chercher ici les délicats ornemens, ni les arabesques déliées; de tout temps, le Lyonnais semble avoir préféré l’ornementation forte et quelque peu lourde. Ce sont