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Tout près de l’église s’élève sur une terrasse un léger pavillon connu sous le nom de l’observatoire Gay, où l’on se rend pour contempler dans toute son étendue le panorama de Lyon et de la campagne voisine. Les touristes manquent d’autant moins de rendre visite à ce pavillon qu’il leur est recommandé en termes d’un enthousiasme frénétique par certain écriteau qu’ils rencontrent à la montée et qui est bien le modèle le plus accompli de la réclame à l’américaine qui se puisse rêver. « Montez, montez à l’observatoire Gay, dit cet écriteau. Vue splendide; c’est plus beau que l’Italie, la Suisse et la Savoie. » Suit une citation du Guide de M. Joanne, couronnée par cette phrase sublime, où se trahit tout entière la noble confiance des âmes modernes en leur probité réciproque : réclame absolument gratuite et non payée. Voilà qui est fait pour donner une singulière idée de la presse à laquelle l’auteur de l’écriteau a pu avoir affaire, ou de l’opinion que doit nécessairement s’être formée de la nature des écrivains cet enjoué cicérone en chambre. La vue est belle en effet, et l’on serait tout disposé à la trouver telle, si l’exagération agaçante de cette réclame n’engageait pas à lui trouver quelques imperfections. Voici l’énorme ville tout entière ramassée sous le regard; à droite, Saint-George élève sa flèche mince et pointue, pareille à un javelot qui, lancé d’une main hardie et débile à la fois, partirait avec rapidité et s’arrêterait dans son premier essor; à gauche, Saint-Nizier présente son clocher brodé à jour comme les tours d’une cathédrale espagnole; en face, la cathédrale de Saint-Jean adorablement enfumée détache avec un relief admirable sa masse entière qui, rapetissée par la distance, paraît sous sa couleur noire la boîte richement gaufrée et sculptée de l’écrin d’une géante. L’horizon est imposant et majestueux; voici les montagnes du Lyonnais et du Forez, derrière lesquelles se montrent les pointes des monts d’Auvergne; là bas les Alpes et le Mont-Blanc étincelant de neiges. Toutefois ce panorama n’est pas sans défauts; par exemple il laisse mal distinguer ce qui est la principale originalité de la ville, cette situation entre les deux fleuves qui fait de Lyon une sorte d’île, et puis, si l’on voit le tableau, on n’en voit pas le cadre, car cet horizon de lointaines montagnes, qui emporte la vue à des distances énormes au lieu de l’arrêter dans un cercle infranchissable et l’éloigne de Lyon au lieu de l’en tenir rapprochée, ne saurait être pris en aucune façon pour le cadre de la ville. D’ordinaire c’est de haut seulement que les cadres des villes se laissent saisir et juger; c’est en bas au contraire qu’il faut rester pour juger de la beauté et de la noblesse de celui de Lyon, dont cette colline même de Fourvières forme une partie. Or, comme on peut fort bien passer à Lyon sans l’apercevoir, et que c’est à une sorte de hasard que nous devons de l’avoir découvert nous-même,